André Brasseur, le plus gros hit belge de tous les temps qui ne voulait pas être McCartney

André Brasseur, chez lui le 29 février, attablé à son orgue vintage des sixties. © Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Le label flamand N.E.W.S. ressort de l’ombre les impétueux instrumentaux du Wallon André Brasseur, auteur du tube sixties Early Bird et champion de l’orgue Hammond sidéral. À revisiter.

La conversation roulait déjà depuis près de deux heures autour de multiples jattes de café et des biscuits à profusion lorsqu’André Brasseur s’est attablé à l’orgue. Deux cents kilos de mécaniques et de broches, un double clavier, une carcasse en bois (usagé) et des rangées de tirettes pour faire varier la note. Plus des pédales à rendre dingue Eddy Merckx. Le monsieur placide de taille moyenne, qui ne fait pas le moins du monde ses 76 ans, s’est alors jeté sur son monstre électromécanique et un son énorme a déchiré les entrailles de Wépion. Nettement plutôt marron que fraise, le truc. Mais encore? Des vagues de gras et des bataillons d’aigus affolés s’engouffrent comme du bon cholestérol dans les artères, y compris celles des oreilles, stupéfaites du souffle ainsi déployé. Littéralement, ce Hammond A100, « acheté en 1963 avec sa cabine haut-parleur Leslie, pour environ 300.000 francs belges, soit à l’époque le prix d’une Porsche », installe une présence musicale hyper-physique, alternativement caressante et carnassière. « Quand je l’ai acquis dans les années 60, le Hammond avait mauvaise réputation parce qu’il était ringard, démodé, davantage synonyme d’instrument d’église ou d’accompagnement pour les films muets que de musique à la mode. »

Inventé aux Etats-Unis au milieu des années 30, l’instrument va pourtant faire une sacrée carrière dans la (contre)culture. Machine fétiche du jazz, du gospel et de la soul, il impose son torrent de notes au prog rock-du Floyd à Genesis- et garnit des hits d’envergure comme ceux de Procol Harum (A Whiter Shade of Pale) ou Deep Purple (Child in Time). André Brasseur lui doit le succès planétaire d’Early Bird qui, en 1965, célèbre le satellite de communication du même nom, tout juste lancé. L’irrésistible instrumental, entre rhythm’n’blues et fête aux croustillons, d’une contagieuse légèreté à la Shadows, va se vendre à six millions d’exemplaires: sauf erreur, le plus gros hit belge ever et une mélodie qui colle d’emblée à la peau joyeuse des sixties. « Les chiffres sont difficiles à vérifier puisqu’on parle parfois de dix millions de copies, précise Brasseur. J’étais signé sur le label des Kluger -une famille d’entrepreneurs juifs anversois- et eux sont devenus très riches. Moi? Disons qu’arrivé à l’âge de 60 ans, la Sabam m’a décerné une pension pour l’ensemble des disques vendus. Et que, non, je n’ai plus besoin de travailler. » Sourire. Et nouvelle jatte de café.

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Jus de nouveau-né

Un demi-siècle après la bonne pioche Early Bird, celle-ci revient de façon inattendue via une compilation du label gantois N.E.W.S. Dans un premier temps, la compagnie de Stefaan Vandenberghe (Dr. Lektroluv) inclut fin 2014 deux titres de Brasseur dans Funky Chicken, exploration discographique de pépites seventies. Vandenberghe en redemande et N.E.W.S. concrétise fin janvier son intérêt via Lost Gems from the 70’s, cette fois-ci intégralement consacré à l’organiste et à ses tempêtes d’Hammond. Le titre s’arrange un peu avec les dates -les 24 morceaux vont de fait de 1965 à 1982- mais la musique caracole avec aisance dans le curieux tambourin des modes: ce qui était out of fashion avant-hier s’y retrouve dans le tempo actuel. Façon de dire que le matériel quasi exclusivement instrumental, dont une bonne partie a plus de 40 ans, sonne étrangement comme du jus de nouveau-né. Funky à l’instar du morceau pareillement baptisé, digne de James Brown. Un rien vintage certes, mais quand même joufflu de fraîcheur inopinée face au commun brouhaha technoïde. Brasseur, surpris et requinqué, s’apprête donc à tourner avec un groupe plutôt flamand, inaugurant ce chapitre nouveau du live par un concert le 19 mars chez les Ménapiens (1), avec d’autres salles comme l’AB en futur proche.

Parler live avec André -le tutoiement arrive après la huitième jatte- c’est forcément remonter aux temps bibliques du Carton, du Récréation et du Métropole.Dans les deux premiers clubs du centre de Bruxelles, le médaillé du gouvernement en piano et violoncelle agite le décor sonore tout début sixties, « parfois pour le prix d’un simple repas ». Au troisième établissement, fameux hôtel gradé de la place de Brouckère, André joue les thés dansants et rencontre Kluger qui l’encourage à écouter les Beatles. Early Bird naîtra de la volonté « de ne pas être McCartney ». Le gamin têtu de la classe moyenne de Ham-sur-Sambre, province de Namur, qui cartonne dans toute l’Europe, va alors essuyer les plâtres d’un microscopique business musical belge. « A ce moment-là, le succès va plus vite que les rentrées d’argent et il faut se débrouiller pour investir dans le matos. » Quitte à ne pas voir assez grand et à pousser la sono au Sportpaleis de Gand devant « 10.000 personnes et la télé allemande » jusqu’à la faire -littéralement- imploser en plein concert. Le même désastre arrivera une seconde fois, ce qui, aujourd’hui, constitue peut-être toujours un plus grand trauma que les tourments d’une carrière pour le moins inégale.

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Chéri par les radios pirates anglaises en eaux extraterritoriales, l’homme qui croisera Roy Orbison ou Bowie, culte dans les clubs de la Northern Soul anglaise avec The Kid, repris aux génériques de la BBC ou d’Europe 1, est un artiste plus complexe qu’il n’y paraît. Quittant un long moment la composition et les concerts pour s’occuper de deux discothèquesde Wallonie: le succès de ses établissements amènera Brasseur à la dépression et à la revente finale de ses affaires horeca en 1985. Populaire et variétés, jusqu’aux musiques et pochettes parfois cheap, mais aussi audacieux et presque baroquecomme l’affichent ostensiblement les morceaux de Lost Gems from the 70’s. Un double album qualitatif qui déborde au moins autant de sympathie que d’orgue, laissant le mot de la fin (provisoire) à son auteur: « Quel bonheur, toute cette aventure. »

(1) AU MINNEPORT DE LEUVEN, WWW.LEUVENJAZZ.BE

DOUBLE CD LOST GEMS FROM THE 70’S, CHEZ N.E.W.S.

EN CONCERT LE 17 JUIN AU WATER MOULIN (TOURNAI), LE 19 JUIN À LA FÊTE DE LA MUSIQUE (BRUXELLES), LE 20 AOÛT AU PUKKELPOP (HASSELT).

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