La magnifique sortie de doute d’Alain Chamfort avec L’Impermanence, son ultime album

Alain Chamfort © D.R.
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

À 75 ans, Alain Chamfort publie L’Impermanence, ultime album d’un des esthètes les plus sophistiqués de la pop française.

Rencontre Laurent Hoebrechts, à Paris

L’avait-il prémédité? Alors qu’il vient de fêter son 75e printemps, Alain Chamfort a précisément attendu l’arrivée de la nouvelle saison pour publier ce qui est présenté comme son tout dernier album, L’Impermanence. Une fermeture de ban, précisément, où la nature repart pour un tour: le chanteur de Souris puisque c’est grave n’est plus à un oxymore, ni une pirouette près…

Le jour même de la sortie, Alain Chamfort reçoit à la Mascotte, brasserie à l’ancienne, au pied de la butte Montmartre. Il est attablé avec Pierre-Dominique Burgaud, son parolier principal depuis une petite quinzaine d’années. Penché sur son smartphone, ce dernier passe en revue les publications saluant la sortie du nouvel album. « Regarde, Alain! »: même les Nuls ont posté un message de félicitations. Levant son nez de la carte, l’intéressé sourit. Quel est son état d’esprit alors que sort l’album qui doit clôturer une discographie de près de 60 ans? « J’ai faim! » 
Ce sera donc plat et dessert du jour.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Pas de quoi ruiner la ligne du septuagénaire. Blouson casual chic et Stan Smith au pied, Alain Chamfort fait facilement dix ans de moins. Sur L’Apocalypse 
heureuse, qui ouvre son nouvel album, il chante pourtant: « Vieillir est une blessure sévère ». Avant de poursuivre, plus seigneur que senior: « Mais profond est le bleu d’Anvers/de nos piscines langoureuses ». Alain Chamfortissimo…

Chamfort, le franc-tireur

Pour l’heure, le chanteur est surtout plongé dans un bain promo particulièrement remuant, enchaînant presse, radio, télé, etc. La beauté distinguée de 
L’Impermanence le justifie. Mais, autour de la table, personne ne nie l’évidence: en présentant l’album comme son dernier, Alain Chamfort interpelle et intrigue. « En réalité, ça faisait un moment que j’y pensais. » Depuis au moins une dizaine d’années.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

À l’époque, le compositeur de Manureva est sans label. « Tout le monde était au courant. Mais je ne recevais aucune proposition. Je pensais ne plus intéresser personne. » En 2010, déjà, il était parvenu à publier l’album-concept Une vie Saint Laurent, en le distribuant via le site vente-privée.com. « Il a fini par susciter pas mal de curiosité dans les médias et s’est plutôt pas mal vendu. » Dans la foulée, Alain Chamfort rencontre Frédéric Lo, réalisateur-compositeur responsable notamment des derniers album de Daniel Darc. « On a vite décidé de se lancer dans une collaboration. Je n’avais toujours pas de contrat, et aucune envie de vraiment en chercher un. Je pensais passer à nouveau par le Net -il y avait encore MySpace, par exemple. Mais, finalement, Fred Lo a fait jouer ses réseaux. Et je suis reparti pour deux albums, chez Pias… »

La vie comme elle va

Ce seront le très sobrement intitulé Alain Chamfort, en 2015, et Le Désordre des choses, en 2018. Le contrat rempli, « je n’avais pas envie de prolonger davantage. À partir de là, je savais que si j’en faisais encore un, ce serait vraiment le dernier« . Sans exclure l’idée de composer et sortir des chansons. Mais plus dans le cadre d’un album. « Ça demande trop de temps et d’énergie. Pas tellement pour créer les morceaux, mais plutôt pour tenter de convaincre derrière, de mettre en mouvement toute la machine de 
l’industrie », détaille Pierre-Dominique Burgaud.

Depuis Bowie, Leonard Cohen, voire Brel, le « dernier album » est quasi devenu une figure de style en soi. Avec tout ce que cela peut avoir de sépulcral et de ténébreux. Sur L’Impermanence, Alain Chamfort garde cependant « l’étoile noire » à distance. En 2016, il a traversé, en toute discrétion, l’épreuve du cancer. Mais aujourd’hui, rassure-t-il, c’est du passé. « Tout va de travers/Mais pas de vague dans mon verre », susurre-t-il, toujours sur 
L’Apocalypse heureuse...

Chamfort fragile

Ce qui n’empêche pas les mélodies majeures de L’Impermanence de tourner autour du thème de la finitude. « J’abordais déjà ce genre de questions existentielles sur Le Désordre des choses. Mais ici, on va plus loin. On épuise un peu plus le propos. C’est aussi pour ça qu’il n’y en aura pas d’autres derrière, je risquerais de commencer à répéter les mêmes choses…« 

« You want it darker », chantait Leonard Cohen. Alain Chamfort, lui, la joue plutôt lighter. Sur l’unique texte de l’album signé Jacques Duvall -responsable de ses plus beaux bottés en touche, auteur de ses plus touchants traits doux-amers-, il promet que Tout s’arrange à la fin, bien décidé à partir En beauté pour reprendre un autre de ses titres. Plus que jamais, Chamfort enfile la veste du héros désarmé. Un crooner fragile et désinvolte, pas dupe de la Vanité vanité de toute chose, regardant, un Whisky glace à la main, le monde s’effriter en direct. Avec un détachement quasi bouddhique. « Il faut bien 
s’accrocher à des idées à un moment. En l’occurrence, celle d’appartenir à un tout, toujours en mouvement. Et d’accompagner ce courant plutôt que d’essayer de le retenir. »

Sur Altiplano, il plane au-dessus des montagnes, plume baladée par le vent. « À quoi bon », conclut-il… Mais c’est encore le titre Par inadvertance qui semble le mieux résumer sa philosophie. « Quand j’ai envoyé le texte à Alain, rigole Pierre-Dominique Burgaud, il m’a juste répondu par texto: « Tiens, quelle jolie surprise, je ne m’y attendais pas du tout… » » Accompagné pour une fois d’une guitare acoustique, Chamfort annonce que le bonheur ne se déniche qu’en contrebande, « prenant l’existence telle qu’on me l’envoie ». Puisque que, comme le clamait ce bon vieux Sénèque, on ne vit que « par hasard »

Jeu de hasard

Si la vie n’est qu’un enchaînement de coïncidences, que dire alors d’une carrière pop? « Que ce serait-il passé si, par exemple, à mes 5 ans, mes parents ne m’avaient pas envoyé en vacances, à Bourges, chez ma marraine, prof de piano? » L’enfant doux et rêveur trouve refuge dans la musique. Il ne la quittera plus, créant ses propres mélodies. Ne pouvant compter que sur lui et l’inspiration, impalpable et fugace. « C’est quand même quelque chose de particulier. Encore aujourd’hui, je compose en me plantant devant mon piano. En ne sachant pas où je vais, ni ce qui va se passer. »

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Ce qui peut être paniquant, en tout cas au début. « Il y a toujours une appréhension. Mais avec le temps, vous prenez plus d’assurance. Vous comprenez qu’il n’y a pas vraiment de raison que le puits s’assèche. Vous avez des réflexes, il y a beaucoup de choses à éliminer. Mais aussi toujours des surprises, qui vous prouvent que la source n’est pas tarie. »

Alors que le poulpe grillé atterrit sur la table, Alain Chamfort ajoute encore: « Je me rappelle avoir consulté un jour une psychothérapeute, qui appliquait une méthode assez dingue, expérimentée en Australie. Elle vous mettait devant un clavier d’ordinateur, et accompagnait le 
mouvement de vos doigts. Elle restait entièrement disponible à ce que vous aviez envie de faire. En résultait des bouts de phrases qu’elle interprétait ensuite. Étrangement, elle en a sorti des choses assez dingues -comme le fait d’avoir perdu une sœur, etc. J’en ai tiré la conclusion que, de la même manière, le mécanisme pianistique manifeste quelque chose de votre intérieur… C’est quelque chose de très éthéré, qui a peu à voir avec la réflexion et l’analyse. »

Une vie et une trajectoire musicale, bâties sur de l’indicible. Avec, dès 14 ans, ses premiers groupes rock, comme les Mulator’s, pas loin du gang de loubards, comme on disait à l’époque. « Quand on jouait dans les bals et que ça partait en bagarre, ils allaient se joindre à la mêlée. J’étais terrifié. » Plus tard, il intégrera le groupe de Jacques Dutronc. L’histoire est connue. Comme celle de Claude François, qui l’embarquera dans son écurie, le profilant en « chanteur à minettes ». Aidé, faut bien le dire, par le physique avantageux de celui qui avait remporté le « concours du plus beau bébé, sur la plage des Sables-d’Olonnes » (rires). « Disons que j’avais l’avantage d’avoir un « physique ». Je n’en surjouais pas, parce que ça n’était pas dans ma nature. Mais c’était là ».

Si peu de médianes

Il mettra tout de même du temps à décoller l’étiquette. Et s’émanciper. Quand on rebondit sur un titre de son nouvel album, À l’aune, pour lui demander sur quel critère il a envie de s’appuyer pour évaluer sa discographie, il n’évoque pas ses tubes –Manureva, La Fièvre dans le sang, Bambou, Clara veut la lune, etc. « J’ai surtout la satisfaction d’avoir été juste. Et d’avoir mis en place assez rapidement les conditions de mon indépendance. Quand j’ai quitté Claude François, je suis arrivé chez CBS, en exigeant de pouvoir laisser libre cours à mes envies, de ne pas me laisser enfermer dans un genre, etc. J’avais des clauses de contrat inespérées, a fortiori pour mon âge, et ce que j’avais montré jusque-là. »

Il faudra encore le coup de pouce de Gainsbourg pour débloquer les premiers tubes. Puis les audaces de Marc Moulin et la plume de Jacques Duvall pour parfaire et compléter le profil du chanteur Chamfort. Celui d’un dandy funambulesque, qui n’a pas peur d’exposer ses doutes et ses ambiguïtés. Ni ses côtés féminins. Un modèle pré-#MeToo, qui détonnait avec les poses virilistes de l’époque. « Mais je n’avais pas spécialement de mérite. Ça correspondait plutôt à ma nature. Et puis, je n’étais pas le seul. Quelqu’un comme Souchon avait ouvert la voie, Goldman aussi… »

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Ne comptez pas sur lui pour se targuer d’avoir été à l’avant-garde d’un autre type de masculinité. Le rôle de porte-drapeau ou de symbole, très peu pour lui. Il peut ainsi saluer la libération de la parole, et s’irriter de voir son amie/ex Lio regretter aujourd’hui d’avoir contribué à l’imagerie de la Lolita en chantant Banana split. « Les choses s’inscrivent dans leur époque. Ça n’a pas forcément de sens de les observer avec le regard d’aujourd’hui. Ce qui n’empêche pas de prendre la parole et de remettre les choses en question. » On repense forcément à cette phrase dans Vanité vanité, longue litanie des maux du moment: « Tant d’extrémités et si peu de médiane/ Tant d’espoir niché dans une flamme et un jerricane »…

Pionnier électropop

Début de l’année, Alain Chamfort sortait un EP 4 titres, concocté avec l’ovni Sébastien Tellier. Pour l’occasion, les deux sont allés enregistrer au studio Motorbass. C’est là que l’on termine la conversation lancée deux heures plus tôt, dans ce lieu emblématique de ce qu’on a baptisé la French Touch, portée par Daft Punk, Air, Justice, etc. L’occasion de rappeler que, derrière son profil d’esthète variétoche, Alain Chamfort a été l’un des premiers à accrocher le wagon électronique en France. « Avec des gens comme Jacno, Jean-Michel Jarre ou même Christophe. On a mis la main sur les premiers synthés abordables, les arpeggiators, les sequencers… On se débrouillait pour en tirer des choses intéressantes, et défricher de nouvelles sonorités. C’était assez excitant. Ça amenait de nouvelles libertés, de nouvelles manières de composer. »


Quatre décennies plus tard, L’Impermanence continue d’intégrer des éléments électroniques, comme sur Dans mes yeux ou En beauté. « Je voulais surtout éviter des productions trop léchées, trop « jolies ». Et puis, aujourd’hui, on parle moins d’arrangements que de « son », de « couleurs ». Ce qui fait que ce disque est un album de 2024, et pas de 2016. Quand je dis ça, l’idée n’est pas de sonner « jeune ». Mais juste de s’inscrire dans une époque, dont je suis aussi le produit. »

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.


L’Impermanence
célèbre ainsi la finitude des choses –« n’est-ce pas une chance, quand on y pense », chante l’intéressé. Avec, malgré tout, pour but ultime, d’atteindre en cours de route quelque chose qui s’appellerait La Grâce. Qui est aussi le dernier titre du (dernier) album. Le compositeur-interprète se demandant notamment: « Aurais-je su toucher les gens/autant que ceux qui m’ont touché? »

Un clip a été également tourné pour illustrer le propos. Il est particulièrement touchant. Et à l’image du chanteur. Après les premières images où on le voit chercher l’inspiration sur son piano, Chamfort disparaît complètement de son propre clip, pour laisser toute la place à une dizaine de « collègues ». D’Étienne Daho à Juliette Armanet, de Miossec à la DJ/productrice Chloé, en passant par Véronique Sanson, Jeanne Cherhal, 
Francis Cabrel, Salvatore Adamo, etc. Ou encore Vincent Delerm et Benjamin Biolay. On se rappelle de leur duo de 2016. Il était intitulé: Les chanteurs sont tous les mêmes. À part peut-être Alain Chamfort…

■Alain Chamfort, L’Impermanence, 
distribué par BMG. En concert le 04/06 à l’AB (Bruxelles), le 18/07 aux Francos de Spa et le 06/12 au Cirque Royal (Bruxelles)

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content