Agar Agar: « L’autodérision vous permet de sortir de toutes les impasses »

© Erwan Fichou & Theo Mercier
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Adepte d’une pop électronique pince-sans-rire et décalée, le duo arty français Agar Agar sort son premier album: The Dog And The Future, ou la joyeuse euphorie du désespoir.

La précision tombe assez vite dans la conversation. « L’autodérision est l’un des plus beaux outils que la vie peut nous offrir, insiste Armand Bultheel, 27 ans, moitié du duo Agar Agar, formé avec Clara Cappagli (25). Elle vous permet de vous sortir de toutes les impasses, de toutes les situations sociales compliquées, de toutes les angoisses. » En l’occurrence, Agar Agar n’en manque pas. C’est un premier bon point. Depuis que le binôme français est apparu sur les radars pop, il le prouve en pratiquant un humour à froid, mi-slapstick mi-gothique, aussi glacial que certains de ses synthés. Il y a eu un premier EP en 2016 (Cardan). Quatre titres, pas un de plus, pour allumer la mèche de la hype. Voici aujourd’hui l’album, The Dog And The Future. Ici, la disco est dark, l’électronique volontiers décharnée. Derrière le micro, Clara Cappagli a la moue boudeuse, à la fois la grande prêtresse autoritaire et victime lascive d’un quiproquo qui les dépasse tous les deux. Vous avez dit arty? Absolument. Et absurde? Bien plus encore.

C’est ce que confirme la bio du groupe. Au départ, rien ne devait les réunir. Armand Bultheel est féru d’électronica, de trance, et d’IDM (intelligent dance music). Clara Cappagli a, elle, commencé par chanter dans des projets folk (le duo féminin Betty Kiwi), puis rock garage (Cannery Terror, dont un morceau finira sur une compilation du label américain Burger Records, référence en la matière). « C’est précisément parce qu’on n’avait pas grand-chose en commun qu’on a voulu voir ce que cela allait donner. En fait, c’était simplement de la curiosité », explique Clara.

Ils font connaissance à l’École des Beaux-arts de Cergy, à côté de Paris. On comprend que la prestigieuse institution a été autant un carcan qu’une nécessaire planche de salut pour les deux originaux. « Je n’aurais pas pu faire autre chose », glisse Clara. « Tout à coup, quand on rentre dans une école pareille, on se sent un peu moins seul, confirme Armand. Vous rencontrez plein de personnalités différentes. Vous réalisez que vous n’êtes peut-être même pas le plus fou d’entre elles » (rires). Officiellement, le duo se forme donc à l’occasion d’une fête organisée pour la retraite de la bibliothécaire. Ce jour-là, ils ont à peine répété, Clara se contentant de chanter quelques slogans en yaourt. Mais la sauce prend…

Cauchemar éveillé

Agar Agar:

Agar Agar est né comme une blague un peu incongrue. Aujourd’hui encore, il assume cette absurdité. Mieux: il en a fait son moteur. Tout se passe comme si le duo avait repris les choses là où la new wave/cold wave des années 80 les avait laissées: au fond du trou. Mais le détachement joyeux en plus. « Forcément, l’époque est différente, assume Armand. On a dépassé le slogan No future pour aboutir à une certaine forme de jemenfoutisme. Il y a eu l’espoir des idéaux hippie, la déception qui a suivi, puis la colère. Aujourd’hui, on en est arrivés au stade de l’indifférence. » Mais c’est grave ça, non, docteur? « Non, pas du tout! Au contraire, c’est très beau. Cela permet de prendre de nouvelles libertés! Aujourd’hui, il y a une jeune génération qui teste et expérimente beaucoup. On assiste par exemple à une nouvelle libération sexuelle, à un mouvement autour des questions du genre, etc. » Puisque tout est fini, tout est permis, écrivait le collectif Catastrophe, dans sa fameuse tribune publiée dans Libération en 2016. C’est aussi un peu ce que raconte Agar Agar. « Nos parent ont expérimenté la frustration et la désillusion. Ils ont grandi dans un monde où le chômage était inévitable, et où c’était même quelque chose de grave. A fortiori, ils se disent que cela ne peut qu’empirer. Mais à un moment donné, vous avez juste envie qu’ils aillent se faire foutre! (rires) On va faire des choses, ne vous inquiétez pas! On va construire, libérer des nouvelles facettes de l’être humain. On sera là. Et ça va être beau! »

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À un moment, Armand parle d’« anarcho-nihilisme ». On comprend « narco-nihilisme ». Ce qui, in fine, pourrait tout aussi bien convenir, tant la musique d’Agar Agar semble fonctionner comme un songe éveillé. Clara: « Plutôt que d’évoquer des sentiments de manière frontale, on préfère glisser des images qui peuvent parfois paraître incohérentes entre elles. Un peu comme quand vous essayez de raconter le rêve que vous avez fait la veille. » En l’occurrence le cauchemar, quelque part entre les associations surréalistes et une imagerie médiévale, où fourmilleraient les détails les plus tordus. « Notre rêve, c’est de se rendre au Puy du Fou. Déguisés évidemment », glisse Clara. Armand, coupe au bol façon Au nom de la rose, s’emballe: « D’un point de vue musical, le Moyen-Âge est une période fascinante! La manière dont était conçue la musique, les instruments utilisés… C’était d’un génie total. Après cette période, on glisse dans une période d’obscurantisme, surtout à partir du classique. À tempérament égal, tout devient extrêmement monotone. C’est terrifiant!… À l’inverse, notamment parce que les moyens de communication étaient moins importants, la musique médiévale est nourrie d’un tas de particularités locales, de patois régionaux. On peut trouver des codex de musiques tournant uniquement autour du fait de fumer de la drogue, des apologies du sexe débridées, etc. C’était à la fois une période socialement très dure, mais qui ouvrait aussi des brèches d’une liberté assez inouïe. »

Sur son Instagram, Agar Agar poste régulièrement des images de gravures médiévales. Comme ce « cosmic egg », tiré d’un ouvrage de l’alchimiste et compositeur allemand du XVIe siècle Michael Maier. « Ah oui?, s’étonne Armand. On n’était pas au courant… Disons que quand on vit dans un tel marasme violent d’images, la provenance a moins d’importance que les correspondances à faire avec l’image d’à côté. On ne fait pas de différence. On accumule. C’est comme ces types qui postent sur YouTube des morceaux soi-disant sortis en 1978, alors qu’ils viennent de les composer. C’est comme si le temps de la création artistique se comprimait, que tout se floutait. » Agar Agar, vous avez dit Agar?

Agar Agar, The Dog And The Future. distr. Cracki. ***(*)

En concert ce 21/10, au Botanique, Bruxelles.

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