Afropolitan: Kinshasa traitement

Kokoko © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Pendant trois jours, à Bozar, le festival Afropolitan va se pencher sur la scène artistique de la capitale congolaise, toujours plus remuante et innovante.

Quiconque a déjà mis les pieds à Kinshasa le confirmera: on en revient rarement indemne. Il y a des villes comme ça… À la fois chaotique et vibrante, belle et cauchemardesque, la capitale de la RDCongo n’accueille pas les visiteurs: elle les essore.

On devrait pouvoir à nouveau s’en rendre compte lors du festival Afropolitan. Sa troisième édition aura lieu le week-end prochain, à Bozar. À l’origine, le néologisme a été créé pour désigner les multiples identités de la diaspora noire. Plus largement, il célèbre aujourd’hui une image de l’Afrique rénovée, qui apporte sa propre voix, connectée à la modernité. Durant trois jours, Bozar va ainsi proposer des débats, concerts, projections, etc. ( lire plus loin). Avec, pour principal fil rouge, la scène artistique de Kinshasa. Du moins si une telle chose existe…

« La quoi? Non, en réalité, il n’y a pas de scène à Kinshasa », conteste ainsi la danseuse et chorégraphe Jolie Ngemi, par ailleurs invitée de l’événement. « Les gens se bougent, font des choses. Mais à part l’Institut français ou le centre Wallonie-Bruxelles, il n’existe pas vraiment d’endroits où se produire. Il n’y a par exemple aucun espace pour répéter. Personnellement, j’ai appris la danse dehors, en m’exerçant durant des heures sous 40 degrés… » Dès le plus jeune âge, Jolie Ngemi commence par calquer les mouvements hip-hop, avant de faire la connaissance du chorégraphe Jacques Banayang qui lui fera découvrir la danse contemporaine. « Le souci, c’est qu’à Kin tout le monde danse. Donc personne ne danse… Ce n’est pas considéré comme un vrai métier. J’ai dû encaisser les coups de mon père pasteur qui n’acceptait pas ma passion. Je passais pour une traînée. » Jolie Ngemi s’accroche malgré tout: plus tard, lors du festival Connexion Kin, initié par le KVS bruxellois, elle se retrouve à collaborer avec Thomas Steyaert, puis Ula Sickle, avant d’intégrer PARTS, la prestigieuse école d’Ann Teresa De Keersmaeker. Aujourd’hui, après avoir multiplié les allers-retours pendant dix ans, elle a fini par s’installer en Suisse – « par amour… ». Mais tout en caressant l’idée de lancer un nouveau festival à Kinshasa, d’ici l’année prochaine. « Et montrer que la danse ne fait pas que bouger le corps, mais qu’elle peut aussi faire réfléchir… »

L’art de la survie

Système K
Système K© DR

« Le fait est que la scène kinoise est complètement atomisée. Si on ne met pas le doigt dessus, elle cesse d’exister. » Quelque part, c’est précisément la mission que s’est donnée le réalisateur/producteur Renaud Barret. Débarquant pour la première fois en 2003, il est instantanément chopé par l’énergie démentielle de la ville . « Elle a fait ce que je suis aujourd’hui, a rendu ma vie plus intéressante. Je ne peux que la remercier. » À son actif, notamment, des documentaires sur le Staff Benda Bilili ou Jupiter Bokondji et son groupe Okwess. À Bozar, il proposera quelque extraits de Système K, son dernier film qui sera dévoilé officiellement au prochain Festival de Berlin.

Il y est précisément question d’une nouvelle scène alternative kinoise, dans une ville où « la survie est déjà un art en soi, où il est impératif d’être créatif si on veut s’en sortir ». En 2011, alors qu’il se balade tout près des Beaux-Arts, il tombe sur une performance hallucinante, en pleine rue, qui ne sera interrompue que par l’arrivée de la police. « À partir de là, j’ai commencé à me rapprocher davantage de ces artistes-là: des performeurs, danseurs, peintres, sculpteurs, etc. » Et de pointer ainsi l’émergence d’un véritable mouvement, inédit, différent des courants précédents plus classiques. Parmi les noms qui reviennent le plus souvent, on trouve ainsi celui du collectif Eza Possibles, ou du plasticien Freddy Tsimba, connu pour ses sculptures monumentales. Il fait un peu figure de parrain d’une scène bien décidée à s’affranchir des codes. Il sera d’ailleurs présent à Bozar, tout comme Géraldine Tobe, remarquée pour ses oeuvres sculptant la fumée.

Au rayon musique, le collectif Kokoko sera également de la partie. Fruit de la rencontre entre le producteur électronique français Débruit et des musiciens kinois bidouillant leurs instruments avec des objets de récup’, il illustre bien l’art de la débrouille kinois, et la magie qu’il est capable de provoquer. Même si, comme d’autres avant elles, la formation connaît plus de succès en Occident qu’au Congo même… « C’est vrai. Quelque part, la public reste très conservateur et ne veut entendre que du Werrason ou du Koffi Olomide. Mais cela change petit à petit. Notamment avec Kokoko, qui réussit à faire danser, et qui utilise un lingala très canaille, directement issu de la rue. »

Renaud Barret insiste: des projets comme ceux-là ne sont que la pointe de l’iceberg.  » À Kin, la création est sans limite, et sans fin. Il y a une urgence à créer, qui est présente partout, aux quatre coins de la ville. » Cette ébullition est forcément liée à la situation chaotique du pays, qui, malgré ses richesses infinies, continue de patauger dramatiquement. Et, au vu des récentes élections présidentielles, ce n’est pas près de changer…

Bozar coupe afro

Zombie
Zombie

Pendant trois jours, l’Afropolitan va brasser large, entre concerts, projections (Zombie, le dernier court métrage de Baloji; l’avant-première du nouveau film de Barry Jenkins; le docu Wax in the City; le film d’animation Liyana…), stand-up (Cécile -Miss Météo- Djunga), ou encore un marché mode. En outre, il sera encore question de débattre autour des thématiques féministes ou du genre (The Shapes of Love). Un programme touffu et éclectique pour souligner, à défaut d’épuiser, les différentes facettes de l’identité « afropolitaine » contemporaine.

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