A voir au Micro festival: Chevalier Surprise
Comme le Wild Classical Music Ensemble et les Choolers, Chevalier Surprise fait valdinguer les préjugés sur le handicap mental. A ne pas manquer au Micro Festival.
Julien arrive en costard cravate. Il fait chaud mais sa mère a dû le freiner pour qu’il ne mette pas un veston. Omega est fringué jeune. Nike aux pieds, jeans troué exprès et taches de peinture disséminées. On est samedi matin. En terrasse, gare des Guillemins. Julien et Omega jouent, chantent, hurlent dans Chevalier Surprise, indomptable groupe de boogie punk liégeois qui réunit deux tiers de l’Experimental Tropic Blues Band et deux jeunes mecs souffrant de déficiences cognitives.
Chevalier Surprise est né il y a quelques années à l’initiative de Rémi Rotsaert (BaliMurphy, Dalton Telegramme, Mademoiselle Nineteen), alors animateur de l’atelier musique de l’asbl Zone-Art. Scrapbooking, danse moderne, arts plastiques, peinture… Zone-Art est un centre d’expression et de créativité installé à Verviers. Il propose des ateliers pour ceux et celles qui souffrent de handicap mental. «Rémi, qui joue avec moi dans Ginger Bamboo, m’a proposé de rejoindre le projet, retrace le chanteur/guitariste des Tropics Jeremy Alonzi. Il a arrêté pendant le confinement et j’ai pris le relais. Au début, on était une quinzaine mais on a recentré autour d’Omega, de Juju et de Mehdi, qui, depuis, ne fait plus partie du groupe. Il était un peu plus freestyle, on va dire. Mehdi est trisomique. Quand il a faim, il pète les plombs. A Verviers, il a balancé une chaise dans le public quand les gens s’installaient. Juste parce qu’il crevait la dalle. Après, je l’ai emmené dans les backstages, je lui ai filé un sandwich et ça allait mieux.»
Je tenais à ce qu’ils se lâchent, à ce qu’ils disent des choses qu’ils n’avaient jamais dites
Solution offensive. Réponses courtes. Directes. Julien fonce, va droit au but. «On s’appelle Chevalier parce que Rémi aimait bien être médiéval. Comme au château de Franchimont et à la foire de Remouchamps. Et Surprise parce qu’on est surprenants.» Omega, lui, se perd un peu dans sa logorrhée, se laisse régulièrement submerger par son flux de paroles. «Je trouve que la musique, c’est pas compliqué et ça aide à changer les mentalités. C’est vraiment incroyable. Pour l’instant, j’ai une voix magnifique et très populaire.»
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Omega est un touche-à-tout. Il joue depuis son plus jeune âge à l’église… «Tu lui mets n’importe quel instrument dans les mains et c’est parti, explique Jeremy. A sa manière, mais c’est juste. Il voit clair. C’est même notre chef d’orchestre. Quand on donne des concerts, c’est lui qui gère. Nous, on ne fait rien. On est des bêtes musiciens qui se mettent à leur service. Je ne voulais pas pourrir leur univers, être une espèce de gourou avec la mainmise sur tout. ça n’aurait eu aucun intérêt.»
Omega écoute beaucoup de rap et de musiques africaines. «J’aime bien les chansons de Famille Royale (NDLR: un groupe afro gospel de jeunes hommes chrétiens). Mais j’aime aussi Hatik, Naza et KeBlack.» «Moi, c’est Maître Gims, Sexion d’Assaut et Soprano, enchaîne Julien… Slimane aussi. Slimane, c’est le meilleur. Et c’est le plus beau. Puis Vitaa et Vincent Niclo…» Julien aussi chante dans une chorale d’église. «Je suis ténor. Mais avec Chevalier Surprise, je crie. Jeremy m’oblige à exprimer toutes mes émotions. Ma colère, ma frustration…»
«Je voulais insuffler un véritable esprit de liberté au projet, précise Jeremy. Je tenais à ce qu’ils se lâchent, à ce qu’ils disent des choses qu’ils n’avaient jamais dites. J’ai commencé, par exemple, en leur demandant de hurler des gros mots. Juju disait: » Ah non, ça, on ne peut pas! » Parce que toute leur vie, on leur a demandé de se tenir droit, d’être dans les clous. Je voulais qu’ils soient qui ils sont.»
Poing dans la gueule
Enregistré grâce à un petit subside qui leur a permis de se payer deux micros et une carte son, Morceau de bravoure parle d’amour et d’amitié, raconte des tranches de vie et des émotions intenses. Elle m’a quitté évoque à sa manière, brutale, une rupture douloureuse. Défigure est un cri d’affirmation.
«Quand je marche dans la rue ou vais à la boulangerie, les gens me regardent et me dévisagent, explique Julien. Alors moi, j’ai envie de leur dire: vous voulez quoi? Vous voulez mon poing dans la gueule? Une aiguille dans le bras, c’est l’histoire d’une seringue que le docteur m’a enfoncée bien profondément. Mon bras a commencé à chauffer et à me faire mal. C’est une chanson sur la vaccination et le Covid.» «C’est quand même un peu dirigé, reprend Alonzi. Il voulait aborder ce thème en répète. Mais Juju est très terre à terre. Alors, on le guide un peu. C’est plus rock’n’roll de gueuler » aiguille dans le bras » que de chantonner » je me suis fait vacciner par le docteur « .» La niaque est saisissante. Même Jon Spencer pourrait aller se rhabiller… «Omega a un côté moins tragique que Juju. Il est plus léché, raffiné. (à Julien) Excuse-moi, hein, Juju. Tu es très raffiné aussi, mais tu es plus brut dans ta manière d’aborder les choses. Ce sont des thèmes et des histoires qu’ils vivent. Et donc, quand ils les chantent, ils les incarnent. Il y a comme une espèce d’ultravérité.»
Au début, Chevalier Surprise s’est surtout retrouvé dans le circuit du handicap, à jouer dans des écoles. Aujourd’hui, la joyeuse bande a trouvé un tourneur et signé sur un label. «On s’écarte à fond de ce qui finalement ne sert à rien. Nous, on veut que les gens se rendent compte que ces deux gars-là sont supercool. On veut donner envie de les connaître. Il y a toujours cette idée que quelqu’un de différent, c’est gênant. Et beaucoup de monde les considère comme différents. Notre but, c’est de les imposer au regard des gens. D’inviter les spectateurs à faire la fête avec eux comme ils la feraient avec Damso…»
En tout cas, sur scène, les différences s’effacent. «C’est touchant mais pas misérable. Tu n’es jamais dans le pathos. Ils envoient du bois, de la rage. C’est drôle à dire mais ils sont ultra adaptés, selon moi. Ils détiennent une vérité que les autres n’ont pas. Je trouve que ce sont des vagabonds de leur vie. Ils ne se posent pas de questions. Ils ne fantasment rien. Ils sont là.» «Ils sont vrais, spontanés, conclut le batteur Devil D’Inferno. Il y a un peu de rap, un peu de rock’n’roll. Mais surtout un truc très naturel, lourd et sans filtre.»
En concert, le 05/08 au Micro Festival (Liège). www.microfestival.be
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