10 Days Off: une dernière danse

10 Days Off © dr
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Du 17 au 27 juillet, au Vooruit de Gand, les 10 Days off fêteront leur 20e et… dernière édition. Pionnier des musiques électroniques, le festival met en effet la clé sous le paillasson. Explications avec son patron, Philip De Liser.

Anvers, d’Herbouvillekaai. A l’exception d’une voiture, l’immense parking défoncé du Petrol est complètement désert. Le club n’a pas été chercher loin son nom: c’est ici, dans la périphérie sud de la métropole, le long d’un large boulevard à gros pavés, que fut établi le premier port pétrolier de Belgique. C’est aussi ici que se trouve le QG de l’asbl 5 voor 12 qui organise les 10 Days Off. On y rejoint Philip De Liser.

Tignasse mi-longue poivre et sel, barbe de quatre jours, le patron des 10 Days Off est tout sourire. Etrange: il est 13 h, dehors le soleil est éclatant, et on se rend compte que l’on n’a jamais croisé l’intéressé en plein jour… Depuis 20 ans, il a passé ses étés à organiser l’un des festivals belges pionniers en matière de musiques électroniques. C’était en 1994, à Gand, et tout était encore à faire. Les festivals rock se cantonnaient toujours à leur core business (à Werchter, il faut attendre 96 pour voir débouler pour la première fois des concerts « électroniques » comme ceux des Chemical Brothers ou de Moby), et la techno était encore une musique underground à écouter en club. Deux décennies plus tard, le paysage musical a radicalement changé. La culture DJ a triomphé, et la dance music électronique a conquis jusqu’à l’Amérique. Paradoxalement, c’est le moment que les 10 Days Off ont choisi pour fermer boutique. L’édition 2014, baptisée The Last Waltz, sera en effet la dernière. Ce n’est pas complètement une surprise. La suppression des subsides en 2012 avait déjà hypothéqué l’avenir d’un festival qui était pourtant partie prenante des Gentse Feesten -le grand événement populaire de juillet qui attire des milliers de visiteurs à Gand.

Le 28 juillet prochain, au Vooruit, les 10 Days Off fermeront donc leurs portes pour de bon. Pas la peine de chercher: il n’y a aucune trace d’amertume chez Philip De Liser. Il faut dire que même sans le festival, le programmateur a de quoi s’occuper -quelques jours après l’entretien, Dansen in het Park devait encore rassembler plusieurs milliers de personnes au centre d’Anvers. Par ailleurs, les nouveaux projets semblent ne pas manquer… A l’image du Piaf, un lieu pour des concerts plus « adultes », ouvert il y a peu à côté du Petrol. Drôle de nom pour un club? « Je suis dingue de chanson française. Mes idoles sont Gainsbourg et Brel. Oui, je sais, on peut difficilement faire plus opposés (rires). Mais ils me résument bien ». Comme la devise du Piaf d’ailleurs, serait-on tenté d’écrire: « Ne regrette rien »…

Quel est votre état d’esprit à quelques jours de la dernière édition des 10 Days Off?

J’ai plutôt un bon sentiment. Vous savez, je joue avec l’idée depuis quelques années. L’été dernier, pendant le festival, j’avais déjà un peu tourné le bouton. C’est un chapitre qui se termine. Il est temps de passer à autre chose.

Comment en êtes-vous arrivé à cette conclusion?

Ces dix dernières années, le marché a radicalement changé. Au départ, on était les premiers et les seuls à programmer de la musique électronique « leftfield ». Mais aujourd’hui, si on regarde le programme de l’été, le calendrier est complètement saturé. Prenez un événement comme Dour par exemple: la moitié de l’affiche pourrait facilement se retrouver aux 10 Days off. Avec l’avantage pour eux de pouvoir fonctionner avec un budget nettement plus élevé que le nôtre. Pour les mêmes artistes, ils peuvent offrir le triple.

Vous ne pouvez pas rivaliser?

Non, notamment pour une question de capacité. A Dour, il y a quoi, 40 000, 50 000 personnes par jour? (en 2013, le festival a en effet attiré plus de 180 000 spectateurs en quatre jours, ndlr). Aux 10 Days Off, on peut compter sur 1500, 2000 personnes. L’autre facteur est le sponsoring. Avec la crise financière, on a perdu par exemple Fortis qui représentait un budget assez considérable. On n’a jamais pu le remplacer…

Quel était le bilan de l’édition 2013?

On a perdu beaucoup d’argent. Mais c’était plus ou moins « prévu ». Le problème de l’an dernier a surtout été la météo. Il a fait trop beau. Moi aussi, si j’avais eu le choix, je ne serais pas venu aux 10 Days Off. Surtout quand se déroulent juste à côté, au même moment, un tas de manifestations qui, elles, sont « open air »… Par ailleurs, la programmation de l’an dernier était très pointue. C’était un choix délibéré. À ce moment-là, on était de nouveau engagés dans une procédure pour recevoir des subsides de la Communauté flamande. Je voulais démontrer qu’il était toujours possible de monter une programmation qualitative et assez exigeante. Mais cela a eu un effet sur le nombre de visiteurs. On a dû attirer 10 000 personnes en tout.

Cela n’a pas toujours été le cas…

A un certain moment, on a pu enregistrer plus de 25 000 spectateurs. Cela ne remonte pas à très loin -il y a encore six, sept ans, on atteignait ce chiffre. Mais la crise financière de 2007-2008 a eu pas mal d’impact sur les budgets culturels. À un moment, cela devient un cercle vicieux. On a moins de sponsors, moins de subsides, du coup on peut booker moins de têtes d’affiche, ce qui attire donc moins de spectateurs, donc moins de sponsoring, etc… Il a fallu faire des choix. Il y a quatre ans, on a par exemple décidé de tout ramener sur la salle principale du Vooruit. Auparavant, le festival fonctionnait sur trois espaces différents, répartis sur les étages. Ce qui permettait aussi une affiche plus diversifiée…

Il y a deux ans à peine, vous déclariez encore au Trends que tant que les fêtes gantoises existeraient, il y aurait toujours un endroit où les plus jeunes voudraient aller écouter de la musique électronique…

Oui, je le pense. Mais ce ne sera plus aux 10 Days… Encore une fois, il y a 20 ans, il n’y avait strictement rien. Aujourd’hui, pendant les Gentse Feesten, il existe plein d’événements éparpillés, des petites fêtes, des clubs qui restent ouverts… Ce genre d’initiatives continueront, j’en suis convaincu. Mais pas au même niveau que nous, c’est impossible. Du moins pas sans subsides, ni sponsoring.

Une autre formule du festival n’était-elle pas possible?

Non, je ne pense pas. La concurrence avec les autres festivals est trop rude. C’est un match impossible à gagner. Il est temps d’arrêter. Après 20 éditions, pourquoi pas? Il n’y a pas de mal à ça…

Non, mais personne ne s’arrête à temps…

Justement! Si on regarde le marché, ce n’est plus qu’une valse de chiffres. Chaque année, cela doit être toujours « plus », « mieux »: davantage de groupes, davantage de visiteurs… Cela ne ressemble à rien. Où est le sens là-dedans? J’ai toujours eu horreur de cette dynamique-là. C’est aller contre la nature des choses. Et c’est le symptôme même du déclin du système capitaliste, du toujours plus… Je ne suis pas un communiste, hein (rires).

Au moment où les 10 Days Off ferment boutique, le Tomorrowland fête ses dix ans de manière triomphale…

Je sais qu’on nous compare souvent, mais les deux événements n’ont pas grand-chose à voir l’un avec l’autre. Au Tomorrowland, la musique est un aspect parmi d’autres. Elle est aussi importante que l’encadrement, le confort, le show, l’élément visuel… Elle a la même importance que le reste. Aux 10 Days Off, par contre, la musique prime, tout simplement. Cela étant dit, il faut tout de même signaler que Tomorrowland s’est toujours montré « collégial ». Chaque année, il y a par exemple plusieurs artistes qui jouent à la fois au Tomorrowland et chez nous. Cela n’a jamais posé de problèmes. Pour être clair, ils n’ont jamais imposé d’exclusivité. Ce n’est pas le cas de Dour, du Pukkelpop, de Werchter…

Par sa mise en scène et son sens de l’événement, le Tomorrowland a malgré tout révolutionné la manière d’organiser un festival en général, de faire vivre les musiques électroniques en particulier. A cet égard, est-ce que les 10 Days Off n’ont pas loupé le coche?

Oui, c’est fort possible… Mais je ne considère pas ça comme un reproche. C’était un choix, donner la priorité à la musique. Le problème est qu’à un certain moment, cela peut juste ressembler à dix soirées en clubs, comme on pourrait en vivre au Fuse ou ailleurs. A ce niveau-là, je peux comprendre qu’on ne fasse plus la différence pour le grand public.

Comment se passera cette dernière édition des 10 Days Off? Avez-vous prévu quelque chose de particulier?

Non, absolument pas! (rires) Plus sérieusement, je pense que l’affiche est bonne, très diversifiée. Même si, volontairement, je n’ai pas programmé de drum’n’bass et de dubstep. Selon moi, ces genres sont moins pertinents. Et puis ce sont surtout des musiques pour les 15-20 ans. Et ces jeunes-là sont partis à Dour, avec leur tente. En d’autres mots, dans ce cas-ci, on est moins dans l’esprit clubbing. Or, pour cette édition, c’est vraiment ça que l’on veut célébrer: l’idée d’un événement où la musique prime, où tout le monde est là pour le line-up. Personne ne va venir pour la déco, pour les filles nues, ou pour la bonne bouffe. Les gens ne seront là que pour deux choses: la musique et la célébration de la dernière édition.

La programmation du dernier soir n’est toujours pas annoncée. Des surprises?

Hmmm, disons que j’espère encore dégoter l’un ou l’autre gros noms pour faire la différence. Mais cela va être compliqué. J’ai longtemps espéré avoir les 2ManyDj’s. Ce sont des Gantois après tout…

Et ce n’est pas possible?

Non. Ce week-end-là, ils jouent à Ibiza pour je ne sais pas combien -25, 30, 40, 50 000 euros? C’est comme ça. Leur agent et leur management font le booking…

Impossible de les contacter directement?

Si, si, j’ai leur mail. Mais bon, peut-être que je n’ai pas envie d’insister… À plusieurs moments cruciaux, ces sept, huit derniers mois, je leur ai posé la question. Je n’ai reçu aucune réaction. Mais ils ne répondent jamais aux mails. Ce n’est pas personnel, c’est avec tout le monde comme ça…

Jusqu’il y a quelques années, vous aviez l’habitude de terminer le festival derrière les platines. Vous mettrez le dernier disque de l’Histoire des 10 Days Off?

Pffff, non, je ne pense pas, je vais être crevé… Enfin, je ne sais pas, on verra (sourires). Mais il y aura plein de « vétérans » qui viendront jouer en « back-to-back » jusqu’au lendemain, lundi, 18 h. Il y aura Trish et Pierre du Fuse, Jan Van Biesen et T-Quest…

Est-ce qu’il y a malgré tout une part de soulagement à stopper une entreprise qui pendant 20 ans a mobilisé pas mal d’énergie?

Hmmmm, oui, sur le plan personnel, c’est clair. Ces 20 dernières années, je n’ai eu aucun été de libre, aucunes vacances. Pour ma famille, c’est un soulagement. Mais bon, il va y avoir d’autres choses à concrétiser. Il est difficile d’encore dévoiler quoique ce soit, mais des idées, des projets sont sur la table. On devrait pouvoir en reparler rapidement. Là, aujourd’hui, on va surtout essayer de survivre à la dernière édition des 10 Days Off (rires).

10 OM TE ZIEN

Quand? Du 17 au… 28 juillet, 18 h.

Où? Vooruit, Gand.

Combien? 20 euros par soirée.

Quatre raisons de ne pas louper ça?

1. L’affiche, encore une fois impeccable. La soirée Kompakt (avec les Pachanga Boys, Matias Aguayo…), celle consacrée au label d’Erol Alkan (avec le patron, Daniel Avery,…), Carl Craig, Richie Hawtin, Dave Clarke, François Kevorkian… Soit une programmation de qualité, à des années-lumière des bourrinades EDM calibrées pour les stades.

2. Certes, on ne peut pas dire que les 10 Days Off mettent le paquet sur le décor… Réfugié dans la salle de concert du magnifique Vooruit, le festival peut toutefois compter sur un lieu unique, bourré de charme.

3. Prendre un dernier verre sur la « terrasse », le long de l’eau, alors que le soleil se lève sur Gand.

4. Parce que c’est la dernière!

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