Ric Hochet remixé
Le scénariste David Vandermeulen se transforme en DJ pour remixer Ric Hochet. Un grand écart jouissif entre avant-gardisme et culture mainstream. Et une grande oeuvre OuBaPo.
Votre serviteur a beau se pincer, mais rien à faire, le sentiment subsiste: l’envie de relire ses Ric Hochet! Oui, oui, le Ric Hochet de Tibet et du journal Tintin, le journaliste aux 78 albums et aux milliers d’enquêtes, celui du Commissaire Bourdon, de sa copine Nadine, de la Porsche jaune et du costume pied-de-poule. Celui-là même que nos parents lisaient ou pensaient faire fort en nous offrant, et qu’on a dévoré petit, et en boucle, parce qu’il n’y avait que ça dans l’armoire à BD, avec des Tuniques Bleues, quelques Lucky Luke et une pelletée de Michel Vaillant. Pas du ton de la BD qu’on célèbre à Angoulême, ni de celle qu’on expose en galeries. « Juste » de la BD on ne peut plus populaire, huilée comme un sex toy, pour les lecteurs de 7 à 77 ans contents de retrouver, parfois 50 ans durant, les mêmes personnages, les mêmes articulations et à peu près les mêmes histoires. David Vandermeulen, crédité comme DJ de ce Ric Remix, est finalement comme nous tous: « J’ai appris à lire avec Ric Hochet », assume l’auteur, pourtant réputé avant-gardiste. Et il le reste, avec cette oeuvre qui rejoint les rangs de l’Ouvroir de Bande dessinée Potentielle, ou OuBaPo. Même en pied-de-poule.
Détournement et contraintes
Ric Remix n’est pas le 79e album des aventures de Ric Hochet. Mais une véritable oeuvre oubapienne, qui consiste en gros à créer de la BD sous certaines contraintes strictes, comme Raymond Queneau s’amusait à le faire en littérature en fondant l’OuLiPo, l’Ouvroir de Littérature Potentielle, la matrice du genre. Ici, la contrainte formelle consistait à proposer une nouvelle lecture, presque une nouvelle aventure de Ric, en puisant dans toutes les cases existantes, sans en altérer ni les textes ni les images. David Vandermeulen a ainsi littéralement remixé des dizaines d’albums pour en créer un nouveau. Cette fois, loin, très loin, des rails scénaristiques de Jean-Paul Duchâteau. « Tout est balisé dans Ric Hochet, ce qui en a fait le succès et le confort. Il y a de l’action, mais la violence ne s’y remarque pas vraiment. Or, une fois qu’on la cherche, on ne voit plus que ça. J’aimais cette idée d’offrir un sens totalement nouveau à cet univers, lui offrir une sorte d’hommage irrévérencieux. »
Violente, la BD phare des jeunes de 7 à 77 ans? Dans Ric Remix, en 5 chapitres aux allures soudain très « pop art », elle est de fait omniprésente. Bourre-pifs, uppercuts, coups droits, coups de pied, coups de flingue, tatanes multiples, tortures diverses… En 78 albums, Ric Hochet s’en est pris des tonnes, en a distribué au moins autant, et ses auteurs l’ont laissé à moitié mort plus qu’à leur tour. DJ Vandermeulen finit le boulot, et fait soudain ressurgir tout le politiquement incorrect d’une oeuvre qui ne l’était vraiment pas. Mieux: en redimensionnant les cases, en les alignant côte à côte avec parfois des années de distance, il parvient à en faire ressortir toute l’énergie et la qualité.
« Le détournement est une figure classique des pratiques artistiques, explique le dessinateur et scénariste bruxellois, féru de littérature et d’expériences en tout genre. J’en avais déjà commis d’autres dans le cadre de l’OuBaPo, dans des revues comme Jade ou Le Tigre. Celui-ci, il est en fait réalisé depuis 2003! J’avais déjà scanné et découpé toute l’histoire, mais il a fallu des années pour numériser tous les albums. Ce n’est pas une question de droits: j’avais montré le projet de nombreuses fois à Tibet avant sa mort, il avait beaucoup ri. Son épouse et son éditeur ont juste eu le bon goût d’aller au bout de l’aventure. » Les éditions Le Lombard ont effectivement eu le nez creux avec ce Ric Remix: 2 ans après la mort de Tibet, voilà que Ric Hochet a les honneurs des critiques et même d’un article dans Le Monde, ce qui n’était probablement jamais arrivé! Pari réussi donc pour David Vandermeulen dont le but était bien celui-là: « Casser les clivages qui minent encore la bande dessinée. Ce conflit quasi philosophique entre indépendants et culture mainstream n’a que trop duré. On peut faire de l’avant-garde avec un matériau populaire. » Et si son Ric Remix n’atteindra sans doute jamais les chiffres de vente de Traquenard au Havre, Requiem pour une idole ou Coups de griffes chez Bouglione, il s’impose d’emblée comme l’oeuvre oubapienne au plus haut potentiel. Un coup d’essai qui lui donne d’ailleurs d’autres idées, toujours très Ric: « Un 2e tome sur le même principe, mais en retravaillant cette fois les textes, pour en tirer un véritable récit, évidemment différent. »
C’est qui ce Ric?
Si le premier album de Ric Hochet, très librement inspiré du personnage de Rouletabille, paraît aux éditions Le Lombard en 1963, le personnage était déjà apparu quelques années plus tôt dans des courtes nouvelles policières du Journal de Tintin, dans la foulée du commissaire Bourdon, inspiré lui par l’inspecteur Bourrel du feuilleton Les cinq dernières minutes.
Crieur de journaux pour « La Rafale », puis journaliste et surtout enquêteur amateur, Ric Hochet ne déviera presque jamais de sa ligne: du polar à la française mâtiné de fantastique, dont les seuls enjeux consistaient à savoir qui a fait le coup, et comment Ric allait s’en sortir.
Tibet, qui menait une autre série au long court, Chick Bill, dans une veine plus humoristique, est décédé en janvier 2010, alors qu’il achevait son 78e Ric.
Près de 4000 planches ont été réalisées en 55 ans, et plus de 15 millions d’albums vendus, qui n’auront valu à son dessinateur aucune reconnaissance autre que populaire.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici