Mina Kavani, la voix de l’exil

Mina Kavani: “Je devais faire tout ce chemin, tout ce parcours pour construire ma personnalité.” © National
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Expatriée en France, Mina Kavani trouve un rôle miroir dans No Bears, le dernier film de Jafar Panahi dont elle est aussi l’ambassadrice en l’absence de son réalisateur.

Lorsqu’on la rencontre au festival d’Ostende, cela fait presque six mois que Mina Kavani assume un rôle auquel elle n’était nullement préparée: ambassadrice d’un film dont le réalisateur est incarcéré (il a été libéré depuis, après avoir entamé une grève de la faim). Le film, c’est No Bears (Aucun ours), et le réalisateur, Jafar Panahi, arrêté le 11 juillet dernier par les autorités iraniennes pour s’être inquiété publiquement du sort réservé à ses collègues Mohammad Rasoulof et Mostafa Al-Ahmad. Si, de son propre aveu, “l’expérience est très étrange”, l’actrice s’en acquitte toutefois de bonne grâce, évoquant dans un même élan le film et son rôle, Zara, la situation de Jafar Panahi comme sa condition d’exilée, de même que la réalité iranienne. Raccord en cela avec la démarche esthétique d’un cinéaste ayant toujours brouillé les frontières entre réel et fiction. Ainsi, encore, dans ce nouvel opus où il ne laisse à personne d’autre le soin de jouer un réalisateur frappé d’une interdiction de quitter l’Iran. Et s’étant rendu dans un village reculé de la zone frontalière pour tourner à distance un film dont l’équipe et les acteurs se trouvent en Turquie, où il raconte l’histoire d’un couple -Mina Kavani et Bakhtiar Panjei- attendant les faux passeports qui lui permettront de s’enfuir.

Actrice dans le vrai sens du terme

Par la magie du cinéma, No Bears réunit donc un réalisateur ne pouvant pas quitter son pays et une comédienne ne pouvant pas y retourner, elle qui vit depuis une dizaine d’années en exil à Paris. Originaire de Téhéran, Mina Kavani a grandi dans une famille d’artistes, étant élevée par son oncle Ali Raffi, acteur et metteur en scène iranien aujourd’hui octogénaire que l’on vit notamment chez Agnès Varda, dans L’une chante, l’autre pas. Et qui l’a distribuée, enfant, dans l’un de ses films, Agha Yousef, l’initiant à un monde tout en lui inoculant sa francophilie. “Il m’a transmis et appris tout cela. Je devais avoir ça en moi: depuis 12 ans, je voulais devenir actrice, je participais à ses répétitions de théâtre depuis que j’étais toute petite, et je savais que je voulais faire ça. Plus il me parlait des grandes figures de cinéma, plus il me donnait envie de quitter l’Iran. Donc, il m’a un peu éloignée de lui de ses propres mains, et ça a été douloureux aussi pour lui quand je suis partie. Mais voilà, c’est comme ça que je suis entrée dans ce métier, et que j’ai appris l’existence du Conservatoire national d’art dramatique de Paris, où j’ai voulu rentrer. Je rêvais de faire vraiment le parcours classique d’une actrice, mais en France.

En 2010, la jeune femme franchit le pas, rejoignant la classe de Jean-Damien Barbin. Son exil parisien prendra des contours définitifs quelques années plus tard lorsqu’elle tourne Red Rose de Sepideh Farsi, un film ayant la “vague verte” de 2009 pour toile de fond, où le fait d’apparaître chevelure à l’air et dénudée lui vaut l’opprobre définitif des autorités de son pays. “Si je l’ai fait, c’est parce que le personnage le demandait, et que mon cerveau artistique me disait: “Si j’étais une actrice libre, en France, et qu’on me proposait ce personnage, je le ferais si c’est justifié. Alors pourquoi est-ce que je devrais m’emprisonner parce que je suis Iranienne?” J’ai toujours eu le désir d’être une actrice dans le vrai sens du terme, pas une actrice iranienne ou une actrice enchaînée.” De l’exil consécutif, elle raconte combien il fait désormais partie d’elle, la douleur aussi, dont l’art et ses projets artistiques seuls lui permettent de se détacher. Mais si elle ne tait pas la souffrance, c’est pour ajouter aussitôt n’avoir jamais éprouvé le moindre regret: Je savais que je ne voulais pas être une actrice sous le régime de la république islamique, c’était très, très clair.

Tempérament de tragédienne

Venant après plusieurs films et pièces de théâtre, mais aussi un seule en scène intitulé I’m Deranged –d’après la chanson de Bowie”, sourit-elle-, No Bears a eu des parfums de délicieuse surprise. La rencontre avec Jafar Panahi était hautement improbable en effet, eu égard à leurs parcours respectifs. “Il cherchait une actrice exilée, et nous ne sommes pas si nombreuses…” Quant à l’expérience d’un tournage clandestin, à distance par surcroît, Mina Kavani raconte qu’elle n’est pas allée sans la dérouter dans un premier temps: “N’importe quel acteur cherche le regard de son réalisateur, et je ne l’avais pas. J’étais donc frustrée, même s’il y avait son équipe, qui était très intelligente et le connaissait très bien. Une fois que le travail a commencé, je me suis habituée, et je me suis rendu compte qu’en fait, il était très présent avec nous, là-bas.” Avec pour point d’orgue une scène de monologue où Zara, son personnage en transit, se livre sans filtre, permettant à l’actrice de laisser libre cours à son tempérament de tragédienne, elle qui cite Gena Rowlands, Isabelle Adjani et Anna Magnani parmi ses inspirations. “Zara me ressemble beaucoup par certains aspects, et pas du tout par d’autres, il y a un côté un peu miroir entre nous. Je n’ai pas été en prison, et n’ai pas été torturée. Mais par contre, pendant un long moment dans ma vie, j’ai été confrontée à la question de “qui a dit que, quand on part, on se sent plus heureux?” J’étais obsédée par la jeunesse iranienne habituée à vouloir quitter le pays pour aller vivre ailleurs, alors que cet ailleurs est aussi difficile, dur et violent. Comme Zara, ça fait dix ans que je vis en France et que je ne suis pas retournée dans mon pays, j’avais le même cri en moi.La voix de l’exil, comme en écho aussi à la réalité iranienne du moment qui, forcément, l’accapare: “Quand on est iranien, on n’échappe pas à la politique. Ça fait partie de nous, de notre identité, c’est comme ça…

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