Critique | Cinéma

No Bears: le cri de Jafar Panahi

4 / 5
© National
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Titre - No Bears

Genre - Drame

Réalisateur-trice - Jafar Panahi

Casting - Jafar Panahi, Mina Kavani

Sortie - En salles

Durée - 1h47

Critique - Jean-François Pluijgers

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Jafar Panahi met en scène sa condition de cinéaste interdit de tourner, adressant un camouflet aux autorités iraniennes.

Incarcéré depuis juillet dernier pour avoir réclamé publiquement la libération de ses collègues Mohammad Rasoulof et Mostafa Al-Ahmad, Jafar Panahi faisait déjà l’objet, depuis 2010, d’une assignation à résidence doublée d’une interdiction de tourner. Un interdit que le cinéaste iranien s’est ingénié à contourner, réalisant cinq films depuis –Ceci n’est pas un film, Pardé, Taxi Téhéran, Trois visages et Aucun ours-, comme autant de camouflets infligés au régime des mollahs.

Tourné comme ses prédécesseurs dans la clandestinité, Aucun ours voit un cinéaste (Jafar Panahi) gagner un petit village proche de la frontière au nord de l’Iran, d’où il met en scène, par téléphone et écran d’ordinateur interposés, un film dont l’équipe technique et les acteurs se trouvent en Turquie toute proche. Et racontant l’histoire de Zara et Bakhtiar (Mina Kavani et Bakhtiar Panjei), un couple se consumant dans l’attente de faux passeports qui permettraient son exil définitif. La connexion internet est aléatoire, rendant le tournage difficile, le réalisateur n’ayant pas le droit de quitter l’Iran -et se refusant, du reste, à le faire, lorsque son assistant lui propose de franchir le pas dans l’épaisseur de la nuit. Des circonstances encore aggravées lorsque, témoin photographique présumé d’une romance interdite remettant en question une promsse de mariage, Panahi se retrouve, bien malgré lui, impliqué dans le conflit qui embrase le village…

© National

Dispositif habile

Aucun ours est un film aussi étrange que fascinant, dont le titre, énigmatique, a une portée de toute évidence métaphorique, embrassant les histoires distillées par le pouvoir à des fins de manipulation -“il n’y a pas d’ours, c’est juste pour vous faire peur”, assurera un villageois au réalisateur. Qu’elle soit le fait des autorités politiques et religieuses, ou le résultat des traditions et autres superstitions, c’est d’une même aliénation qu’il s’agit, toile de fond d’un film croisant ses deux histoires d’amour tout en enchevêtrant réalité et fiction dans un dispositif aussi habile que foisonnant.

Par ses ressorts absurdes -il faut voir son logeur, obséquieux, ne sachant bientôt plus trop quelle conduite adopter face à son hôte encombrant-, l’intrigue ne manque assurément pas d’humour. C’est pourtant une tragédie qui se noue à l’écran, celle d’un réalisateur questionnant sa condition d’artiste empêché (comme son médium) dans une mise en abyme brillante, et par-delà, le choix impossible entre la clandestinité et l’exil. Et signant une œuvre intensément politique, vibrant, sous son abord austère, d’une énergie paradoxale: si Jafar Panahi livre là ce qui est peut-être son film le plus sombre, le chant désespéré tient aussi lieu d’acte de résistance.

No Bears (Aucun ours)

De et avec Jafar Panahi. Avec Naser Hashemi, Vahid Mobaseri, Mina Kavani. 1 h 47. Sortie: 08/02.

8

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