Mickey, Spirou, Lucky Luke… Les classiques BD revus et corrigés
Bankables pour les éditeurs, agréables pour les auteurs, les reprises de classiques le temps d’un « one-shot » se multiplient en BD: un art sous contrainte, entre hommage, défi et madeleine.
Il n’y a pas de hasard. Est-il surprenant de voir le grand Cosey inaugurer aujourd’hui une collection Mickey, constituée de « one shot » d’auteurs? Sans doute, si l’on se fie à son univers graphique et rythmique a priori très différent de celui du géant américain. Un peu moins si l’on regarde d’un peu plus près certaines planches de ses albums -les deux Jonathan se déroulant aux Etats-Unis, ou quelques « one-shot »- où il s’amusait déjà à placer un Mickey ou un Pluto dans des coins de case. Et plus du tout quand on l’écoute nous rappeler cette anecdote: « En 1976 à Burbank, près de Los Angeles, je me suis présenté avec mes dessins, chez Disney. C’était un vieux rêve qui datait de l’enfance. Les portes s’ouvraient, mais j’ai renoncé quand je me suis rendu compte qu’on me proposait de dessiner pendant deux ans les roues de la voiture de Mickey… J’avais commencé les Jonathan, je savais que je pouvais être plus créatif en restant en Europe, mais il m’est toujours resté un petit regret. Et voilà que 30 ans plus tard… » Trente ans plus tard effectivement, classiques de la BD industrielle et pure création d’auteur ne sont plus incompatibles. Chose rarissime dans l’univers Disney: une collection Mickey affiche le nom de son auteur sur sa couverture, et en fait même son argument de vente! Une manière de faire à la fois très éloignée des moeurs américaines (les auteurs y sont de « simples » employés, sans droits) mais aussi très proche de leurs habitudes éditoriales: « Là-bas, quand des auteurs font un Batman, on ne se demande pas si c’est une reprise, un reboot, un hommage. C’est juste normal« , nous faisait récemment remarquer Jean-Luc Cornette, lui-même scénariste d’un « one-shot » Chlorophylle à la fois voisin et très différent de celui dessiné et imaginé dès 1954 par Raymond Macherot. Des auteurs modernes qui reprennent le temps d’un album un classique de la bande dessinée: cette nouvelle manière de faire s’est définitivement imposée chez les éditeurs francophones: Mickey, Chlorophylle, mais aussi Lucky Luke ou Spirou ont désormais droit à leur « vu par ». Et si possible, pas par n’importe qui.
Concept win-win
La bande dessinée européenne, contrairement à l’américaine, a longtemps été structurellement réfractaire au principe des reprises: chaque auteur restait propriétaire de ses créations, dans une logique éditoriale elle-même basée sur les séries au long cours. Le temps a depuis fait son office -des auteurs ont disparu, leurs ayant-droits les ont cédés aux éditeurs, se réservant un simple et nébuleux droit moral-, tout comme la réalité économique d’un secteur à la fois en repli et en surproduction. Et qui a bien compris toute l’utilité du recours aux marques et aux figures connues -« Le premier album d’une nouvelle série ou d’un nouveau personnage se vendra toujours moins qu’une reprise, reconnaît Jean-Luc Cornette, c’est aussi un truc économique. Mais ce sont des plans d’éditeur que j’aime bien comme auteur! » Et c’est en effet là que se situe le petit miracle du genre, alors que les reprises de séries se multiplient elles aussi, d’Astérix à Bob Morane, et de Ric Hochet à Michel Vaillant: avec ce concept de « one-shot », les éditeurs peuvent transformer un simple album en événement, mais aussi proposer à des auteurs installés, et déjà occupés, un défi à la fois ponctuel et créatif et qui surtout résonne dans leur panthéon personnel. S’ils ont pour la plupart répondu à une sollicitation d’éditeurs, tous y ont trouvé un projet qui leur parlait.
Ainsi Matthieu Bonhomme qui, avant Guillaume Bouzard, va sortir « son » Lucky Luke: il en rêvait depuis toujours. « C’est la BD qui m’a le plus accompagné, une de mes plus grandes influences, nous expliquait-il au dernier festival d’Angoulême. Et c’est toujours resté dans un coin de ma tête: déjà dans « la galerie des Illustres », dans Spirou (rubrique dans laquelle un auteur rendait hommage à un album, NDLR), j’avais fait Lucky Luke. Je l’ai tellement fait savoir que Dargaud a pensé à moi quand l’occasion s’est présentée. J’avais plusieurs envies: une sorte de Lucky Luke à OK Corral, un porte-flingue qui est son exact contraire, une fratrie de shérifs -choses qui trouvent écho en moi. Et puis jouer avec la seule contrainte que m’avait donnée l’éditeur: j’avais une totale liberté, mais je ne pouvais pas le faire fumer. L’album joue donc là-dessus, son addiction à la clope dont il essaie de se défaire. Moi, ça fait quinze ans. »
Plaisir de la contrainte
Si toutes les reprises parues ou à paraître sont à chaque fois très différentes, elles offrent à leur auteur une résonance personnelle, mais aussi un plaisir assumé de travailler sous la contrainte. S’il n’est par exemple pas étonnant de retrouver un Lewis Trondheim derrière pareil projet, lui qui n’aime rien plus que de s’exprimer dans un cadre apparemment figé, de sa série Donjon aux expériences de l’Oubapo, Jean-Luc Cornette, lui, dit avoir découvert ce plaisir-là avec son Chlorophylle, ou précédemment, avec sa reprise des scénarios de la série historique Jhen. « J’ai travaillé pendant 20 ans sans ça, mais la contrainte t’oblige à te dépasser. Le défi, ici, ne consistait pas tant à faire revivre Chlorophylle, à respecter le personnage, ce qui se fait de manière assez naturelle: elle consistait dans le cas présent à écrire, sur mesure pour René (Hausman, illustrateur belge, NDRL), un album sans le moindre accessoire! Je n’avais à ma disposition que des animaux et une allumette! Pour le reste, je ne me sentais pas gardien du temple, j’avais mes propres limites morales au personnage. »
Même plaisir de la contrainte pour Nicolas Keramidas, dessinateur du deuxième « one-shot » Mickey, décuplé par sa propre histoire: « J’ai travaillé pendant neuf ans chez Disney (comme animateur sur des courts et longs métrages, comme Dingo et Max, NDLR). J’en suis parti parce que j’avais envie de BD, mais aussi par frustration créative: quand tu vois ton nom au générique d’un film Disney, c’est génial, mais ça perd vite de sa magie quand tu te rends compte que tu es un parmi 20 000. Et que très peu d’illustrateurs feront partie des 20 qui vont vraiment influencer le film. Chez Disney, mes dessins pouvaient être faits par d’autres, au millimètre près. C’est codifié à l’extrême, chiffré, effrayant. Et c’est donc ça qui m’a excité le plus: revenir chez Disney, mais en étant créatif. Des autres auteurs sur le couppour l’instant (Regis Loisel et Tebo sont annoncés pour les tomes 3 et 4 de la collection, NDLR), je suis celui qui peut sans doute les dessiner le plus facilement, au modèle. Mais on a tous ce plaisir de se réapproprier des personnages, de les faire bouger à sa façon. »Le Suisse Cosey ne dit pas autre chose: « Ça s’avère très créatif de travailler sur quelque chose d’a priori cadenassé. En tant que lecteur, enfant, j’avais la frustration de ne pas m’approcher suffisamment du personnage, de ne pas le connaître assez. J’avais envie de montrer un aspect plus intime de Mickey, moins picaresque, moins rocambolesque. En fait, ça a été pour moi l’occasion de réaliser cet album que j’aurais aimé lire. »
Reste un problème, si problème il y a: tous, sans exception, ont désormais l’envie… de remettre ça. Jean-Luc Cornette a déjà un scénario tout près de Chlorophylle (et un autre de Spirou, refusé il y a dix ans), Cosey n’a pas tout dit sur « son » Mickey, et Keramidas a déjà demandé un tome 2. « On m’a dit non, que c’était un peu prématuré et contradictoire avec le principe. Mais on va en rediscuter: c’est tellement excitant que c’est frustrant quand ça s’arrête. »
Lucky Luke par…
Dargaud avait besoin d’une excuse et d’un mythe pour se lancer dans le genre: l’année des 70 ans de Lucky Luke lui a fourni les deux. Dans quelques jours sortira L’Homme qui tua Lucky Luke, la reprise-hommage de Matthieu Bonhomme, fan absolu de Morris et de sa série, et qui donne corps à un « vrai » western proche du réalisme mais aussi de l’esprit amusé de Goscinny. Il faudra par contre attendre septembre pour découvrir le Lucky Luke de Guillaume Bouzard, qui n’a pas encore de titre, mais dont les deux premières planches visibles sont déjà à crever de rire. Dans les deux cas, le pari semble réussi: des Lucky Luke fidèles à la série, mais aussi à leurs nouveaux auteurs.
L’HOMME QUI TUA LUCKY LUKE, DE MATHIEU BONHOMME, ÉDITIONS DARGAUD, 64 PAGES (SORTIE EN AVRIL).
Mickey par…
Jacques Glénat, éditeur et grand fan de Mickey qui gérait déjà ses versions françaises, lance sa nouvelle collection en fanfare, avec deux grandes réussites, complètement différentes dans l’approche, le ton, le format, la pagination ou le prix! Cosey, grande star européenne et contemplative, ouvre le bal en revenant aux sources du mythe mais en ne perdant rien, ni de son rythme, ni de son trait épuré malgré sa dévotion. Autre approche plus enlevée et conceptuelle dans le chef de Trondheim et Keramidas, avec une série de vrais-faux épisodes vintage selon une trame soi-disant retrouvée dans un magazine de 1965. Brillant et virevoltant.
MICKEY. UNE MYSTÉRIEUSE MÉLODIE, DE COSEY, ÉDITIONS GLÉNAT, 64 PAGES.
Le Spirou de…
Dupuis fut le premier Européen à faire du principe une collection: le premier Spirou de est sorti en 2006, réalisé par Yoann et Velhmann qui, depuis, ont… repris la série-mère. Huit albums très inégaux ont depuis été édités, mais la collection semble retrouver cette année un second souffle, et ses fondamentaux: Benoît Feroumont, auteur très doué du Royaume vient d’entamer la prépublication de son Spirou dans le magazine homonyme; Frank Pé (Broussaille) a bientôt fini le sien -on a pu y jeter un oeil, c’est à tomber!- et Hardy devrait suivre.
LE SPIROU DE, TOME 8: LA GROSSE TÊTE, DE TEHEM, MAKYO ET TOLDAC, ÉDITIONS DUPUIS, 72 PAGES.
Et tous les autres!
La bande dessinée franco-belge ne manque pas de classiques: c’est au tour de Chlorophylle, chef-d’oeuvre de Raymond Macherot, de faire l’objet d’un album-hommage très réussi (et éloigné d’un premier « one-shot » cette fois plus mimétique dû à Godi et Zidrou), proche dans l’esprit, mais radicalement différent dans le traitement graphique, du grand René Hausman: Chlorophylle et le Monstre des Trois Sources. Un Macherot décidément à la mode, puisqu’un Sibylline est aussi en chantier. De même, dans un autre genre, qu’un « one-shot » Corentin, sur un scénario original et d’époque de Jean Van Hamme. Mais c’est évidemment le Tif et Tondu de Blutch, annoncé chez Dupuis, qui fait le plus saliver les esthètes…
CHLOROPHYLLE ET LE MONSTRE DES TROIS SOURCES, DE HAUSMAN ET CORNETTE, ÉDITIONS LE LOMBARD, 48 PAGES.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici