Y perdre des plumes

© JASON KEITH

Dans cette tragédie de Chigozie Obioma, l’esprit protecteur d’un éleveur de poules malade d’amour plaide son cas face au tribunal des divinités igbo.

Un soir où il vient d’acheter des poulets, un aviculteur orphelin en deuil, Chinonso Solomon Olisa, croise la route d’une femme prête à se jeter d’un pont. Animé d’un instinct protecteur, il sacrifie certains de ses oiseaux pour lui faire entendre raison. Quelques semaines plus tard, les routes de la belle Ndali et de son sauveur se croisent de nouveau. Mais qu’ont en commun un homme humble qui a les mains dans les plumes toute la journée et une riche étudiante en pharmacie? Malgré un attachement sincère, la différence de classes se fait rapidement sentir entre eux. Décidé à devenir  » quelqu’un » pour pouvoir épouser celle qu’il aime, Chinonso se laisse convaincre par Jamike, yahoo boy dissimulé en homme providentiel. Abandonnant sa ferme, ses biens et sa fiancée, le voici persuadé de pouvoir mener à bien un cursus de management à Chypre… Mais le camouflet de la réalité le rattrape cruellement.

D’homme intègre, mélancolique et foncièrement candide, Chinonso deviendra aigri, laminé à la fois par le mépris qu’ont eu à son égard les parents de sa fiancée qui ne voient en lui qu’un  » ramasse-miettes« , et les fausses accusations qui lui vaudront la geôle, si loin de chez lui. De retour au pays, le voici mû par une revanche qui a deux objets: le fieffé faux ami qui l’a poussé dans l’enfer chypriote et sa mama qui n’a pas eu suffisamment à ses yeux la patience d’une Pénélope en attente d’Ulysse. Mais le courroux qui est le sien ne risque-t-il pas de déborder plus loin qu’il ne le souhaiterait? Il ne faudra pas moins qu’un esprit protecteur (un chi), attaché à tout homme selon la mythologie igbo (ethnie du Nigeria), pour exposer son cas contrasté à Chukwu, divinité suprême d’une cosmologie en rhizome.

Y perdre des plumes

Une langue foisonnante

La Prière des oiseaux est une réflexion en monts et vallées à la fois sur le sacrifice ultime -qui ne vous fait pas toujours empocher la timbale ni ne vous garantit le retour de l’être aimé-, mais aussi sur les abîmes dans lesquels un pan de l’humanité tombe tandis que l’autre moitié juchée très haut les contemple, ou encore sur la culpabilité qui vous rattrape. Tandis que la destinée de Chinonso se trace au scalpel, l’auteur nigérian dont c’est là le deuxième roman traduit en français (par l’excellent Serge Chauvin) impressionne par une langue foisonnante. Comme le chi au ramage habile, prions à notre tour pour lire toujours plus de voix diversifiées, aussi intenses et incarnées que celle de Chigozie Obioma.

La Prière des oiseaux

De Chigozie Obioma, éditions Buchet-Chastel, traduit de l’anglais (Nigeria) par Serge Chauvin, 528 pages.

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