En compagnie de Bruno Romy, Dominique Abel et Fiona Gordon font fondre L’iceberg au rythme d’une Rumba burlesque. Rencontre.

Couple à la ville comme à la scène, Dominique Abel et Fiona Gordon étaient rejoints, en 1994, par Bruno Romy le temps d’un court métrage, Merci Cupidon. Expérience concluante, si bien que l’on retrouvait le trio d’auteurs/acteurs/réalisateurs dix ans plus tard derrière L’Iceberg, long métrage renouant allègrement avec l’esprit burlesque des Buster Keaton et autre Jacques Tati. Une veine que creuse encore un peu plus Rumba, fable à l’optimisme contagieux s’appuyant sur un dispositif comique irrésistible. Pour en disséquer les ressorts, rendez-vous était pris avec le duo belgo-australien dans leur havre bruxellois, quelques jours après la présentation triomphale du film à Cannes.

 » L’idée de Rumba m’est venue lors de l’une de nos nombreuses tournées en camionnette, commence Fiona Gordon. J’ai fait un cauchemar où nous avions un accident dans lequel je perdais les bras et Dominique les jambes, et j’ai imaginé la catastrophe que cela représenterait pour nous.  »  » La rumba est venue dans un second temps, poursuit Dominique Abel. Dans L’iceberg , nos deux personnages étaient séparés par un événement, et nous regrettions de n’avoir pas eu la possibilité de plus jouer ensemble. Nous sommes donc partis cette fois de l’idée d’un couple hyper heureux, soudé, et on s’est interrogés sur l’activité à leur donner. La danse s’est imposée, parce que c’est une manière d’exprimer physiquement le bonheur.  »

Ping-pong à trois

Le processus d’écriture, les deux réalisateurs le décrivent comme une partie de ping-pong… à trois.  » Avec Bruno, nous avons le même statut, aussi bien au niveau de la réalisation que de l’écriture. L’un d’entre nous vient avec une première idée, chacun en écrit une version, on compare, on mélange, on picore ce qu’on aime chez l’un, puis chez l’autre, et on essaye. Nous faisons toutes ces improvisations à trois. Souvent, Dominique et moi jouons notre propre rôle, et Bruno tous les autres personnages. On regarde ensuite ce qu’on a filmé, et on décide ce qui fonctionne ou pas. C’est complètement empirique« , explique Fiona Gordon. Avant d’ajouter:  » Notre expérience théâtrale est primordiale. Nous écrivons très peu, et on crée tout en improvisant.  »

 » C’est la seule manière pour arriver à ce langage visuel, renchérit Dominique Abel. On apprend aussi, au théâtre, à développer un sens de la mise en scène, d’un appel à l’imaginaire. Tu dois pouvoir tricoter des histoires où tu amènes les gens dans cet imaginaire, et donc créer une connivence avec eux, qu’elle soit clownesque ou poétique. Cette transposition, qui t’éloigne du réalisme, te permet aussi de parler de choses graves.  »

Démonstration avec Rumba, fable confrontant ses personnages à une cascade de situations dramatiques.  » A l’écriture, on se demande toujours jusqu’où pouvoir aller. La justesse du rire est importante. Ici, on a osé aller jusqu’au moment où Fiona a un grave accident. La place du rire, dans la vie, est toujours liée au malheur, non pour le gommer, mais pour le revivre autrement. Norge disait d’ailleurs que le rire était la seule parade que nous ayons trouvée au tragique de notre situation…  »

Parade à quoi s’ajoute la volonté inébranlable des protagonistes du film à s’accrocher à une bribe de bonheur.  » C’est l’histoire de gens qui tombent, se relèvent, retombent et se rerelèvent, observe encore Domini-que Abel. Il y a là un optimisme in-ébranlable, très clownesque mais aussi très humain. Nous passons tous par des échecs, et parvenons toujours à les oublier, à nous persuader que cela ira mieux. »

Ce constat reste aussi l’un des ressorts immuables d’un burlesque auquel leur art est indéfectiblement attaché:  » On nous dit parfois que nous essayons de faire revenir un style, mais ce style n’est pas passé, c’est le créneau qui a disparu, souligne Fiona Gordon. Il y a, de tous temps, eu des artistes ou des comiques qui s’exprimaient plus par le corps que par la parole, mais les fenêtres ont disparu à cause de la télé, et de la primauté donnée à l’écrit. » A quoi Dominique Abel ajoute:  » Quand on voit comment les arts du cirque et de la rue ont réinvesti les théâtres, les festivals, peut-être la période est-elle propice au cinéma également.« La parole au burlesque? Un pas de Rumba suffit en tout cas à s’en convaincre…

Entretien Jean-François Pluijgers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content