Aux premières du film de Scorsese sur les Stones – qu’il n’a pas aimé -, le batteur placide Charlie Watts, le Buster Keaton du rock, était hilare. Un événement.

Il s’est passé quelque chose d’inouï récemment à New York, Londres et Berlin. Réuni avec les trois autres Stones pour des séances de photos publiques, traînant sur les tapis rouges devant des fans en extase, avec ou sans Scorsese, Charlie Watts a rit. Franchement, totalement, goulûment. Pas l’un de ses timides bâillements de maxillaires qui lissent à peine les lèvres mais une vraie symphonie d’incisives et de molaires livrant un océan d’émail blanchâtre. Chez Charlie, on n’avait jamais vu cela. Tout au moins en public, parce qu’en privé, Charlie, le batteur du « plus grand groupe de rock du monde » qui n’aime que le jazz, a dû se laisser aller quelques fois.

CHARLIE ASSURE TOUJOURS

A son premier achat d’un disque du pianiste Bud Powell ou, à 17 ans, lorsqu’il a vu ce dernier en concert à Paris jouer avec le batteur Kenny Clarke. Son modèle, son héros, son inaccessible point de fuite.  » Je ne jouerai jamais comme lui « , a-t-il plus d’une fois soupiré. En public, il y a peut-être bien une grande orgie de zygomates de Charlie avant celle qui nous préoccupe. En mars 1977, Jagger et une partie des Stones donnent deux concerts privés au Club El Mocambo de Toronto. Muddy Waters, l’auteur de la chanson qui a inspiré le Rolling Stones au groupe anglais, monte sur scène pour un titre. Jagger s’agite comme une folle, se contorsionne, fait de la tecktonic sans le savoir. Monsieur Waters, 62 ans déjà, s’assied posément sur une chaise face au micro. Lorsqu’il se met à chanter, non seulement c’est l’intégralité du Mississippi qui inonde le petit club canadien, mais de toute évidence, il éclipse complètement Jagger et ses mouvements de bassins exagérés. Muddy chante et par un simple effet de condensation, son crâne se met à fumer! Au bord de l’apoplexie, Charlie aimerait bien se tenir les côtes mais c’est difficile lorsqu’on joue de la batterie. Il se marre sans jamais perdre son légendaire tempo. Charlie assure toujours, que le beat soit rock, blues, gospel, funk, soul ou disco. On ne parle même pas du jazz.

CHARLIE SORT DE SES GONDS

Mais Charlie n’aime pas qu’on se moque de lui ou qu’on le dérange tôt le matin. Encore moins la combinaison des deux. Quand, dans les années 80, un Jagger éméché téléphone à l’aube de la réception de l’hôtel pour demander à Charlie  » Que fait MON batteur?« , Charlie sort du lit, passe un costume, se brosse les dents, descend à la réception et met un pain à Mick en hurlant:  » Ne m’appelle plus jamais TON batteur, tu n’es que mon foutu chanteur.  » On n’est pas sûr que Jagger ait trouvé cela drôle. Donc, Charlie le placide sort de ses gonds environ une fois par décennie. Et il n’a pas aimé le Shine A Light de Scorsese parce qu’on y voit aussi quelques archives où il parle. Charlie n’aime pas se voir parler, surtout pas à la télévision ou au cinéma. D’ailleurs, Charlie pensait quitter la projection, mais il était assis au premier rang avec Scorsese et les autres Stones. Charlie est poli, il est resté jusqu’au bout pour voir son film… Et il a quand même rit.

LA CHRONIQUE DE philippe cornet

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