Les films sont de plus en plus nombreux à connaître une distribution à géométrie régionale variable. Etat des lieux.
Egaux devant les films, les spectateurs belges? Pas tout à fait. Au jeu de la distribution, les disparités régionales sont nombreuses. Voilà un bon moment déjà que la part de films francophones sortant sur les écrans de Flandre est marginale. Et que, à l’inverse, le champ d’exploitation des films flamands s’arrête aux portes de Bruxelles, dans l’une des salles de Kinepolis, plus précisément. Dans un cas comme dans l’autre, les éventuels arguments culturels sont aussi des arguments économiques: à quoi bon sortir un film, à grands frais de sous-titrage notamment, pour quelques poignées de spectateurs à peine?
Dans un marché en crise (la fréquentation des salles a diminué de 6,7 % l’an dernier en Belgique, avec 22,3 millions de spectateurs, encore qu’il convienne de pondérer suivant le type d’exploitation), la frilosité semble aujourd’hui de mise.
DES STARS, ET ALORS…
Elle touche prioritairement les films présumés les plus fragiles, dont la diffusion est toujours plus aléatoire – avec un nombre d’écrans accessibles trop limité, et une vitesse de rotation des titres ahurissante -, mais plus exclusivement.
Ainsi, tout récemment, There Will Be Blood, film excep- tionnel de Paul Thomas Anderson, n’est-il sorti que sur cinq copies en Belgique, ventilées entre le nord du pays et la capitale. Un premier week-end encourageant (avec un box-office supérieur à 54 000 euros, soit un score tout à fait honorable compte tenu de la configuration de sortie adoptée par son distributeur, la major Buena Vista) et l’Oscar du meilleur acteur obtenu par Daniel Day-Lewis valent désormais au film une distribution un peu plus large. Ce qui permettra incidemment au public wallon de pouvoir le découvrir lui aussi (encore que modestement pour l’heure, sur une copie à Imagibraine, mais d’autres pourraient suivre). Eloquent, ce cas n’est plus tout à fait isolé.
Les distributeurs adaptent fort logiquement leur schéma de sortie aux résultats escomptés. Et une major peut opter pour une exploitation limitée, comparable à celle d’un film indépendant. Distribué par Sony, Capote, Oscar du meilleur acteur pour Philip Seymour Hoffman en 2006, n’a été exploité que sur trois copies (deux à Bruxelles, et une à Anvers) en Belgique. Mais le film a longuement tourné par la suite, existant sur la durée, plutôt que sur les chiffres de son premier week-end.
Autre cas de figure, plus radical, celui de films longtemps inscrits au catalogue d’une major mais ne sortant jamais en salle, faute de perspectives économiques. Citons, il n’y a pas bien longtemps, All The King’s Men, de Steve Zaillan, un film qui alignait pourtant à son générique les noms de Sean Penn, Anthony Hopkins, Jude Law et Kate Winslet. La présence de stars n’est plus une garantie de succès ni, conséquence logique, de (large) diffusion. Tout récemment, un film comme The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford, de Andrew Dominik, n’est sorti, malgré la présence de Brad Pitt, que sur dix copies en Belgique, dont une, à peine, pour la Wallonie, à Liège.
L’OREILLE MUSICALE ?
La Cité ardente apparaît d’ailleurs bien souvent comme une oasis au milieu d’un désert cinématographique, étant aussi la seule ville wallonne à présenter, en sortie nationale, des films catalogués art et essai comme I’m not There, de Todd Haynes, ou Control, de Anton Corbijn. Faut-il croire que les Wallons, Liégeois exceptés donc, n’ont pas plus l’oreille musicale (les deux films en question sont l’un un portrait éclaté de Bob Dylan, l’autre un biopic sur Ian Curtis, le chanteur de Joy Division) que le regard cinéphile? La réalité est évidemment plus complexe, puisque la partie francophone du pays souffre aussi d’un manque criant d’écrans, dont le cinéma d’auteur est la première victime.
S’ajoute néanmoins à cela le fait que Liège (ou plutôt Les Grignoux) enregistre dans ce créneau, les meilleurs résultats de la partie sud du pays. Alors que le marasme prévaut généralement – démonstration, encore, avec l’annonce, il y a quelques jours, de la fermeture prochaine du complexe UGC de Louvain-la-Neuve -, les Grignoux s’apprêtent, pour leur part, à ouvrir quatre nouvelles salles. Un épiphénomène, toutefois.
Dans un marché souffreteux, la désaffection objective du public couplée à la pénurie d’écrans pèse plus que les longs discours et autres sentiments liés à la qualité intrinsèque d’un film…
TEXTE JEAN-FRANçOIS PLUIJGERS
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