COMPLÈTEMENT IGNORÉES EN BELGIQUE FRANCOPHONE, LES SÉRIES FLAMANDES S’ÉLÈVENT POURTANT, POUR CERTAINES, AU NIVEAU DE LEURS HOMOLOGUES SCANDINAVES. DÉCRYPTAGE D’UN PHÉNOMÈNE.

Elle patiente au calme, un verre de vin blanc à peine entamé, au fond d’un petit café anversois. Ravissante, la trentaine épanouie, le regard futé et doux. C’est la première fois. La première fois que l’on rencontre ce que les Américains qualifient de « showrunner », soit l’âme d’une série, celui qui la pense, la développe, l’accouche, la défend. Le David Simon de The Wire, l’Alan Ball de Six Feet Under, c’est elle, Malin-Sarah Gozin. Pour une mini-série, Clan, qui fut l’un des derniers cartons (frôlant parfois le million de téléspectateurs) en date de la fiction télévisuelle flamande.

Clan, pas plus que Gozin, n’animent en vous le moindre souvenir? Normal. Côté belge francophone, les séries flamandes ont l’impact tout relatif d’un caillou violemment jeté sur la cuisse de Jupiter. Phénomène un peu triste. Mais qui en dit long sur l’intérêt mutuel que se portent nos communautés linguistiques. Les DVD de ces séries ne se lestent d’ailleurs jamais de sous-titres français, c’est dire. Clan, pour ne prendre que cet exemple, ne manque pourtant ni de qualité, ni d’originalité, ni de cran. Les organisateurs du festival Are You Series? (voir encadré) ne s’y sont pas trompés, qui ont convié Malin-Sarah Gozin à venir disserter sur l’art d’écrire une série. « En Flandre, les séries ont grandi. Elles ont évolué, sont plus inspirées. La concurrence est très grande. Ça te tient éveillée », confie la jeune femme. Une « concurrence » entre séries? Sérieux?

Alors qu’au sud du pays, la RTBF et TVI achètent en masse des fictions étrangères souvent interchangeables (sauf exceptions), tout en plaçant leurs quelques billes dans des co-productions gentillettes avec la France, les voisins flamands inondent de boulot leurs techniciens, réalisateurs, créatifs et comédiens.

Jamais assez de programmes locaux

« La situation en Flandre est assez particulière en effet, les gens regardent plus facilement les programmes flamands, estime Stefaan Werbrouck, rédacteur en chef de Knack Focus. L’arrivée sur le marché de VTM, en 1989, a pas mal joué dans cette évolution: la chaîne publique s’est rendue compte que VTM et ses programmes flamands cartonnaient. Elle lui a emboîté le pas. Et l’a même dépassée aujourd’hui. »

Talk-shows, télé-réalités, soaps, quiz en tout genre, séries de faible ou grande qualité: les grilles flamandes sont véritablement tapissées, en primetime, de productions locales. Un engouement qui s’expliquerait notamment par l’absence de… doublage pour les fictions importées. « Les sous-titres augmentent la perception d’une distance culturelle avec l’objet fictionnel étranger », assure le professeur en communication de masse Jan Van den Bulck (KU Leuven). Autrement dit, les séries étrangères sous-titrées touchent très largement moins leur cible que les fictions flamandes, en flamand, pour les Flamands. Un véritable miroir sociologique alimenté par le dynamisme des maisons de productions (Woestijnvis, Caviar, etc.), l’investissement massif des trois chaînes principales (Eén, VTM, Vier, lesquelles font de leurs séries de véritables événements) et surtout du gouvernement flamand, via le Vlaams Audiovisueel Fonds: aussi curieux que cela puisse paraître aux yeux du Belge francophone, nos voisins flamands n’ont jamais… assez de programmes du cru! Quasi assurées d’être suivies en masse, certaines séries flamandes ont donc fini par gagner en qualité ce qu’elles… ne perdaient pas en audience! « Vu la compétition entre les chaînes, nous essayons tous de programmer un maximum de productions locales, confie Jean Phillip De Tender, manager du rouleau compresseur Eén. Depuis dix ou quinze ans, les chaînes flamandes investissent beaucoup dans la fiction, un genre très populaire. Au départ, nous avons commencé avec des séries policières puis, au fur et à mesure depuis sept ou huit ans, nous avons lancé ce que l’on nomme des projets Prestige. »

Loin de faire fuir les téléspectateurs, l’audace, l’inspiration créative et la complexité des fictions imaginées par Jan Eelen, Tom Van Dijck, Bart De Pauw ou Malin-Sarah Gozin ont conforté le succès du genre. « Ce n’est pas parce que tu es original et créatif que tu t’adresses à une élite, Il faut rester accessible, car le plus grand nombre aussi peut être touché par l’originalité », assure farouchement Malin-Sarah Gozin. Touché! On s’étonnera parfois de l’inégalité de ton et d’interprétation au sein d’une même série, ou de la redondance dans le choix des acteurs: mais globalement, les meilleures séries flamandes ont pris le train de la qualité, aux côtés, notamment, de leurs homologues scandinaves.

Même si les budgets tendent à s’effriter un peu, les chaînes poursuivent leur course à la série qui tue. « L’an dernier, les chaînes ont investi énormément, tout en sachant que ça allait marcher, lance malicieusement Olivier Goris, directeur des programmes chez Woestijnvis, l’une des principales maisons de production flamandes. Tout le monde veut débouler avec quelque chose de plus fort, de plus original, de plus spécial. Quand on voit VTM diffuser une série audacieuse comme Clan, on comprend qu’il y a une évolution. Même si… la suroffre guette.« 

Une petite saison, puis s’en vont

Jadis pourvoyeuse officielle de Eén, Woestijnvis a quitté le navire public en septembre pour muscler la nouvelle chaîne Vier, issue du même holding De Vijver. C’est à Woestijnvis que l’on doit notamment les réussites Van vlees en bloed (près de 2 millions de téléspectateurs!), Het Geslacht De Pauw, De Parelvissers ou encore le passionnant De Ronde. Régulièrement saluées dans les festivals spécialisés, les séries flamandes ne parviennent pourtant pas à convertir cette reconnaissance en dollars: contrairement à leurs contemporaines scandinaves, The Killing en tête, elles peinent à se frayer un passage jusqu’à l’Eldorado américain. Probablement la rançon d’un succès local axé sur l’identification, sur le côté très « café du village » de productions mélangeant l’audace de la créativité artistique aux terrains plus balisés d’un humour local parfois un peu potache. Ne pas se couper du public…

Autre grande curiosité: malgré des audiences turgescentes, les meilleurs projets flamands, hors séries procédurales classiques (Code 37, etc.), ne dépassent quasi jamais leurs neuf ou dix premiers épisodes. Une saison, puis s’en vont. La Flandre, royaume de la mini-série? « Quand les producteurs s’intéressent à nos séries, l’une des premières choses qu’ils demandent, c’est ce qui va se passer dans les saisons 2 et 3 », souligne encore Malin-Sarah Gozin. Or, de l’avis général, les auteurs de séries flamandes préfèrent raconter une seule histoire, quitte à la découper en dix morceaux. Et passer à autre chose. « Avec Van vlees en bloed, on aurait facilement pu continuer sur plusieurs saisons. C’est parfois dommage du point de vue de la production, mais on respecte la volonté des créateurs », poursuit Olivier Goris. On se demande si les networks américains réagiraient aussi pacifiquement…

Tiens, bonne nouvelle: on nous dit dans l’oreillette que la Fédération Wallonie-Bruxelles va débloquer un fonds spécial dédié à l’écriture de séries. To be continued…

TEXTE GUY VERSTRAETEN

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