Nouveau film de Brian De Palma, Redacted cristallise l’évolution du discours du film de guerre, en même temps qu’il s’interroge sur le pouvoir des images.

A première vue, on pourrait penser que rien n’a changé. Entre Outrages ( Casualties of War), film sur la guerre du Vietnam qu’il tourna en 1989, et Redacted, (voir également notre critique en page 83), pamphlet sur la présence américaine en Irak réalisé par Brian De Palma près de vingt ans plus tard, les convergences sont évidentes. L’un et l’autre film traitent, en effet, du viol d’une civile par des G.I.’s américains, en autant de métaphores de l’occupation. Mais là où le premier adoptait une forme cinématographique classique, le second ajoute à la réflexion de fond une mise en scène en apparence hétéroclite, dès lors qu’elle multiplie les sources et leur mise en forme: caméra HD, Internet, JT, caméra de surveillance,…

S’agissant de De Palma, le dispositif, qui épouse les contours d’un faux documentaire, ne doit évidemment rien au hasard. Il traduit éloquemment une évolution du film de guerre, en ajoutant au propos dénonciateur un questionnement passionnant sur notre rapport aux images, résolument changeant. Et atteste, si besoin en était, que la représentation de la guerre au cinéma est aussi un laboratoire permanent.

PARADE DE STARS

Le film de guerre a en effet connu, au gré de l’historie du Septième art, une série de mutations profondes qui reflètent aussi l’évolution des esprits. Longtemps envisagée sous le seul angle de l’évocation historique, la guerre s’inscrit dans le contemporain des cinéastes avec le second conflit mondial. Au vrai, certains l’ont même anticipée, comme Jean Renoir qui signe, dès 1937, un formidable manifeste pacifiste avec La grande illusion, ou Charles Chaplin avec sa comédie visionnaire, LeDictateur.

L’Amérique étant partie au conflit depuis l’attaque de Pearl Harbor, Hollywood participe à l’effort de guerre en produisant des films fleurant bon le patriotisme – de façon assez subtile parfois comme dans Casablanca, par exemple. Devenu un genre propre, le film de guerre conquiert rapidement ses lettres de noblesse, trouvant dans une actualité encore toute proche un réservoir d’histoires incomparable, en même temps qu’il y puise sa légitimité. De fait, le cinéma américain n’en finira plus, pendant une bonne vingtaine d’années, d’exalter le courage de ses combattants et de saluer leurs actions d’éclat, au gré de fictions plus ou moins fantaisistes. A moins qu’il ne se lance dans la reconstitution de batailles emblématiques, dans le cadre de superproductions qui, de Anzio au Jour le plus long, alignent leur cortège de stars sur le parade ground.

PERSPECTIVE ADULTE

Timidement, pourtant, un discours critique se fait jour. Un Dmytryk soulignait, dès 1946, la difficile réinsertion de G.I.’s de retour au pays dans Till the End of Time. Samuel Fuller dépeint lucidement, dès 1951, dans The Steel Helmet, l’horreur de la guerre vécue de l’intérieur – un leitmotiv qui irrigue une bonne partie de son £uvre, pour culminer dans The Big Red One, en 1980; on n’ose imaginer quel film Fuller aurait tourné s’il avait disposé des moyens de Steven Spielberg pour Sauver le Soldat Ryan. Quelques années plus tard, en 1956, Alain Resnais revient, en France, sur l’horreur concentrationnaire dans l’incomparable Nuit et brouillard. Ce, avant qu’un Stanley Kubrick ne signe, avec Les Sentiers de la Guerre un film ouvertement antimilitariste (il récidivera avec Dr Folamour, satire des temps de guerre froide et, bien sûr, Full Metal Jacket).

Illustratif, réflexif, pamphlétaire, le film de guerre a trouvé là ses trois déclinaisons fondamentales, la première tendant avec le temps à s’estomper au profit des deux autres. Nécessité du travail de mémoire d’une part – qui se manifeste encore aujourd’hui à travers des £uvres aussi différentes que Indigènes, de Rachid Bouchareb, Trois saisons, de Tony Bui, ou encore le diptyque Flags of Our Fathers/Letters from Iwo Jiwa de Clint Eastwood -, radicalisation du discours d’autre part, la perspective se fait résolument adulte. Ce, en même temps que le cinéma quitte de plus en plus souvent le champ de bataille pour s’atteler aux ravages – psychologiques et autres – provoqués par la guerre sur l’homme et son environnement.

La guerre du Vietnam est évidemment un cap fondamental dans cette évolution du film de guerre, américain en particulier. Sorti en 1970, M.A.S.H. , de Robert Altman, quoique situé pendant la guerre de Corée, fait ouvertement référence au conflit vietnamien, dont il dénonce l’absurdité avec une verve féroce. Les années 70 voient se succéder les chefs-d’£uvre stigmatisant l’engagement américain au Vietnam, en même temps qu’ils font le deuil d’un rêve ayant viré au cauchemar, qu’il s’agisse du Voyage au bout de l’enfer, de Michael Cimino, ou du Apocalypse Now de Francis Ford Coppola.

Depuis, l’occupation du Vietnam n’a cessé de hanter l’inconscient américain, comme l’attestent encore des films comme le Platoon, d’Oliver Stone, ou le Full Metal Jacket, de Kubrick. Ou même jusqu’au plus récent Quiet American, de Philip Noyce, qui souligne l’hypocrisie d’une intervention résultant de multiples manipulations – et où toute ressemblance avec des engagements ultérieurs n’est nullement fortuite.

Du reste, et comme le Vietnam le fit il y a presque quarante ans, la guerre en Irak a sonné le réveil des consciences politiques américaines. Evolution sensible: les films qui en résultent sont désormais concomitants des faits qu’ils dénoncent. Et témoi- gnent, à la façon de Dans la vallée d’Elah, de Paul Haggis, d’un même désarroi psychologique qui est à l’£uvre. Non sans que les cinéastes dénoncent à tour de bras: Robert Redford, par exemple qui, dans Lions et agneaux, épingle le pouvoir manipulateur des images et de ceux qui les contrôlent. Ou Brian De Palma, qui pousse la réflexion plus loin en faisant du médium même le moteur de sa réflexion, et propose, avec Redacted un film patchwork proprement affolant. Comme l’était, en son temps, La ligne rouge de Terrence Malick, film élégiaque qui, en même temps qu’il sonnait le glas de quelque paradis perdu à jamais, s’érigeait sans doute en film de guerre définitif, intemporel et universel.

JEAN-FRANçOIS PLUIJGERS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content