Le romancier Jerome Charyn chante l’originalité du réalisateur de Pulp Fiction dans une monographie rapide et lucide, à l’enthousiasme communicatif.

A l’heure où Quentin Tarantino prouve, avec son ravageur et follement divertissant Inglourious Basterds, qu’il n’a rien perdu de son audace et de son énergie, un livre vient chanter son art et sa personnalité avec un engagement complice et ce qu’il faut de style. L’auteur, Jerome Charyn, natif du Bronx dé-sormais enseignant à Paris, est un romancier prolifique (une bonne quarantaine de bouquins, polars et scénarios de BD compris) et très talentueux. Sa série de romans policiers centrés sur un personnage de flic new-yorkais hors du commun, Isaac Seidel, a marqué le genre. Passionné de cinéma, Charyn voit en Tarantino un créateur qui a bouleversé le cinéma et ses conventions, tant stylistiques que chronologiques, avec l’éclatement des structures narratives dès Reservoir Dogs et encore plus avec les « boucles » temporelles de Pulp Fiction.

Le romancier reconnaît dans son cadet – 26 ans les séparent – un collègue en écriture, avant même d’aborder ses qualités visuelles. Avec Tarantino, explique-t-il non sans justesse, les mots sont des images, et créent à eux seuls le mouvement du film. Charyn parle de « riffs », comme on dit « riff » de guitare dans le rock, quand il évoque ces monologues dont la force, la singularité, définissent d’emblée le personnage qui les énonce. Il cite en premier exemple celui de Dennis Hopper dans True Romance, scénario du jeune Tarantino filmé par Tony Scott et où l’acteur se voit confronté à un Christopher Walken venu le torturer pour lui faire avouer l’endroit où se cache son fils. Le riff agressif (sur les Siciliens) du père est si efficace qu’il piège le tueur mafieux, l’amenant à l’abattre avant qu’il n’ait parlé… et sortant ainsi vainqueur posthume de leur duel. Est aussi mis en relief le monologue de… Christopher Walken, dans Pulp Fiction, revenu du Vietnam et racontant à un petit garçon comment il a connu son père à la guerre, partagé avec lui une captivité terrible, et promis d’apporter à son fils une montre en or… cachée dans son derrière.

Bruit de fond

Les « riffs » successifs des gangsters au tout début de Reservoir Dogs définissent également ceux qui les disent, de celui sur le sens sexuel des paroles de la chanson de Madonna Like A Virgin (par Tarantino himself) à celui sur les pourboires dévolu à Steve Buscemi. Charyn les détaille avec un plaisir communicatif, et parle de  » ce bavardage, ce bruit de fond incessant qui refuse de se taire » et qui habite le cinéma d’un réalisateur éminemment  » écrivain« . La présentation du tout neuf Inglourious Basterds en « chapitres » indiqués par des cartons séparant les parties successives du film ne font que confirmer ce constat qui pousse Charyn à rapprocher Tarantino de James Ellroy et non d’Elmore Leonard (un romancier que QT place pourtant parmi ses préférés). L’apport du regard de Jerome Charyn est aussi de mettre en valeur le fait que Tarantino, qui voulut l’être au départ mais sans aucun succès, reste un acteur autant qu’un réalisateur. Une qualité qui lui permet d’opérer les meilleurs choix (par exemple imposer pour le rôle de Vincent Vega dans Pulp Fiction le has been John Travolta contre Daniel Day-Lewis que la production préférait nettement), et d’offrir à ses interprètes nombre de scènes décisives qui vont marquer leur image à jamais (comme Michael Madsen dansant en mutilant le flic prisonnier de Reservoir Dogs).

Enfin, le bouquin a le mérite d’aborder intelligemment cette particularité qu’est le « Quentin Tarantino Business », cette starification du cinéaste comme premier produit d’appel de la promo de ses films. Un autre élément marquant d’une trajectoire unique en son genre, et qui n’a pas fini de surprendre.

Tarantino, De Jerome Charyn, Éditions Denoël, 190 pages.

Texte Louis Danvers

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