LES TROIS JEUNES MUSICIENS CANADIENS DE BADBADNOTGOOD, PROCHES DU COLLECTIF ODD FUTURE, BÂTISSENT DE NOUVEAUX PONTS ENTRE LE JAZZ ET LE HIP HOP. SWAG.

« No one above the age of 21 was involved in the making of this album. » Oubliez le poussiéreux jazz à papa qui vous réveillait tous les dimanches matins à l’heure de la gueule de bois. En 2012, les petits génies canadiens de BadBadNotGood revendiquaient leur jeunesse jusque dans le livret d’un deuxième disque mélangeant habilement compositions originales et réinventions improbables. Après avoir revisité A Tribe Called Quest, Waka Flocka Flame et Tyler The Creator, le trio de Toronto passait à sa moulinette instrumentale le répertoire de My Bloody Valentine, Kanye West, Feist et James Blake… Le tout souvent caché sur scène sous des masques de cochons comme pour désacraliser un genre à l’image vieillotte et par trop cérébrale.

Matthew Tavares (clavier), Chester Hansen (basse) et Alexander Sowinski (batterie, samples) se sont rencontrés dans une école de jazz. « On y a appris à maîtriser nos instruments, à devenir des solistes, racontent-ils d’une voix dans une froide et impersonnelle loge du Botanique quelques dizaines de minutes à peine après un concert comme à l’habitude époustouflant. Mais la structure scolaire, en musique comme ailleurs, peut vite t’inhiber et consumer ton temps. Détourner ton attention d’une nécessaire quête identitaire. La musique est tout sauf une formule. C’est un moyen d’expression, un langage que tu dois adapter. Les écoles sont importantes et elles constituent un outil formidable. Mais explorer, avancer est souvent difficile dans un monde de tradition et de convention. Pas sûr que nos disques impressionneraient nos anciens professeurs du Humber College. »

Aux yeux et aux oreilles averties des trois BadBadNotGood, toutes ces écoles aux quatre coins du monde nuisent à la créativité d’un genre un peu trop braqué sur son rétroviseur. Sortant d’excellents musiciens certes, mais en panne sèche d’inspiration. Un constat qui leur a mis à dos les traditionalistes. « Personne n’avait enregistré un truc comme A Love Supreme avant Coltrane. Mais aujourd’hui, dans le jazz, tout le monde essaie de sonner comme lui ou de ressembler à Charlie Parker. Et ceux qui veulent un peu s’émanciper, soit rendent le genre ringard, soit le teintent d’électronique. On ne pense pas que tout ce qui est nouveau dans le jazz est mauvais. Mais il est parfois fort compliqué de percevoir l’émotion, l’intensité, la profondeur d’un projet…  »

Be yourself

Pour BadBadNotGood, qui -ne pas s’y méprendre- admire Bill Evans, Bird et Coltrane, le jazz est un vocabulaire. Une base solide qui lui permet d’aborder la musique différemment. Proches du collectif Odd Future, les Canadiens ont jammé avec Tyler The Creator (il a même participé à leur marketing viral), enregistré avec Earl Sweatshirt et accompagné Frank Ocean sous le brûlant soleil de Coachella. Ils ont aussi prêté leurs talents à Danny Brown et au Wu-Tang Clan.

« On ne vient pas du milieu rap. On en est juste fans. Et il constitue une influence fondamentale pour chacun d’entre nous depuis qu’on s’est mis à vraiment écouter de la musique, racontent Matthew, Chester et Alexander. Le hip hop, 50 Cent, Dr. Dre, c’était avoir ses propres goûts. Le rap est encore aujourd’hui, avec ses MC’s de malade, ses producteurs hallucinants et ses sons de dingo venant des quatre coins du monde, un endroit particulièrement propice à la création. C’est un peu comme les sixties pour le jazz. Des gens qui ont grandi en écoutant les albums de la génération précédente et s’en sont émancipés. Dans les années 60 même les plus mainstream comme Miles Davis faisaient des trucs incroyables pour repousser les frontières. C’est le cas d’un Kanye West. »

L’aspect autodidacte et Do It Yourself du hip hop a l’art de plaire aux trois Canadiens qui manipulent brillamment les réseaux sociaux et buzzent avec leurs vidéos (ils ont sorti leur premier album en téléchargement gratuit). « Le hip hop ne vient pas de l’école. Les rappeurs, producteurs, MC’s sont capables de constamment développer leurs propres idées et sons et de les articuler avec leurs propres productions. D’improviser, d’être eux-mêmes, dans le moment. Les mixtapes d’ASAP Rocky et l’album de Kendrick Lamar Good Kid, MAAD City par exemple sont fabuleux. Quand tu es fan de rap, tu comprends vite que la production est un facteur déterminant en musique. La manière que tu as d’enregistrer et de capturer le son d’un instrument en change fondamentalement l’humeur. »

De la très smooth Mélanie De Biasio aux expérimentations saxo(si)phonnées de Colin Stetson (un Américain exilé au… Canada) en passant par les relectures de Dans Dans, qui vient de terminer avec Koen Gisen l’enregistrement de son nouvel album, le jazz se dépoussière, rajeunit, avance. « Aujourd’hui, les jeunes se laissent davantage séduire par les écoles d’art que par les business schools. Et de manière générale, de plus en plus de gamins apprennent à jouer d’un instrument. Ils ne passent plus obligatoirement par un apprentissage classique. Ils font ce qu’ils veulent. Et ça se traduit dans la musique. Notre génération a accès et est sensible à tous les genres et toutes les époques. Elle est extrêmement ouverte d’esprit. C’est vrai que sa connaissance est parfois superficielle, mais si tu le veux , tu as les outils à portée de main pour l’approfondir. »

Profitant de quelques heures gratuites dans le studio d’un pote, BadBadNotGood avait jusque-là enregistré ses deux premiers albums à la va-vite. Pour III, uniquement composé de titres originaux, les Canadiens ont bossé un an et demi, à Toronto. « On s’est installés dans un garage où nous avons construit notre propre studio. Nous voulions avancer, expérimenter. Nous avons retravaillé tous les morceaux une bonne cinquantaine de fois. » BadBadNotGood, ou quand exigence rime avec excellence…

LE 19/07 AU FESTIVAL DE DOUR.

III, DISTRIBUÉ PAR INNOVATIVE LEISURE.

7

RENCONTRE Julien Broquet

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