Vers les lueurs

© Joel Ryan

Après une trilogie très sombre, Nick Cave revient avec Carnage. Enregistré en quelques jours avec Warren Ellis, il laisse passer à nouveau la lumière.

S’il y a bien un artiste susceptible d’incarner aujourd’hui une certaine intégrité rock, c’est bien Nick Cave. On sait à quel point la notion de « héros » est devenue compliquée aujourd’hui à aborder -tant ils semblent tomber les uns après les autres de leur piédestal, démantelés par une époque où le génie n’excuse, heureusement, plus tout. Nick Cave, lui, ne bouge pas. Il est cette icône à la trajectoire quasi inattaquable. Malgré cette sanctification, l’Australien continue pourtant d’explorer.

Pandémie ou pas, Nick Cave n’arrête jamais. Il y a à peine plus d’un an, il était encore à Bozar pour l’une des dernières dates de sa tournée Conversations with… Il aurait dû revenir avec les Bad Seeds au printemps. Le virus en ayant décidé autrement, il s’est rabattu sur un solo piano, diffusé en live streaming, et publié sous le titre Idiot Prayer. Dans la foulée, il collaborait avec le Belge Nicholas Lens, prenant en main le livret de son « opéra de chambre », 12 L.I.T.A.N.I.E.S. Aujourd’hui, c’est avec Warren Ellis, camarade de longue date, qu’il publie Carnage. Un disque présenté comme  » brutal mais aussi magnifique, imbriqué dans une catastrophe communautaire« . Autant dire que les attentes étaient élevées.

Vue du balcon

Pour leur premier projet publié sous leurs deux noms, Ellis et Cave expliquent avoir démarré au début du premier confinement, sans forcément avoir un album en tête. Il se trouve qu’en  » deux jours et demi, les huit morceaux du disque étaient déjà tous là, sous une forme ou une autre« . L’expérimentation reste la règle, le binôme continuant d’étirer les contours que peut prendre une chanson. En ouverture, Hand of God démarre par un simple piano, avant qu’un glissando synthétique ne l’amène vers une transe inquiétante. Juste derrière, Old Time maintient la prise, Cave psalmodiant sur une rythmique obsédante, déchirée ici par un violon funeste, là par une giclée de guitare métallique. Pour autant, on reste loin de la sauvagerie à la Grinderman, autre projet commun à Cave et Ellis. Trompeur, le morceau-titre de l’album est même une ballade, tandis que Shattered Ground avance sur des nappes de synthés engourdies.

Vers les lueurs

Tous les éléments de l’écriture de Nick Cave sont présents, entre incantations bibliques et énigmes impressionnistes ( » I’m a two hundred pound octopus under a sheet« ). Certaines paroles se font cependant plus directes, comme le très politique White Elephant, à l’ironie grinçante ( » A protester kneels on the neck of a statue/The statue says I can’t breathe/The protester says now you know how it feels/And kicks it into the sea« ). En fait, derrière son titre carnassier, Carnage est bien l’un des disques les plus hospitaliers de l’Australien. À l’image notamment de Lavender Fields ou d’ Albuquerque, avec son orchestration de cordes majestueuses. En toute fin, sur Balcony Man, Nick Cave insiste:  » What I am to believe?« , un peu flottant, un peu groggy. Confiné comme tout le monde, il observe la vie depuis son mirador, s’évadant dans les numéros de Fred Astaire, ou se réconfortant devant le spectacle du jour qui se lève, concluant:  » What doesn’t kill you just makes you crazier »

Nick Cave & Warren Ellis

« Carnage »

Distribué par Awal. Disponible en physique dès le 28 mai.

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