De Mary Gaitskill, éditions de l’Olivier, 320 pages.

Mais où était-elle passée? Près de 20 ans sans nouvelles. Dans les deux sens du terme puisque c’est par un recueil d’histoires courtes et décapantes que Mary Gaitskill avait fait une entrée remarquée dans la république des lettres en 1988. Depuis ce Mauvaise conduite qui portait bien son titre, plus rien. Du moins en français car l’Américaine n’a pas chômé. Critique de rock (livret discographique pour les Talking Heads, excusez du peu), professeur de « creative writing » à l’université de Syracuse, chroniqueuse pour The Village Voice, elle a également tâté du récit longue distance avec un premier roman, Two Girls, Fat and Thin (1991), jamais traduit en français. C’est donc avec une certaine surprise qu’on l’a voit ressurgir aujourd’hui dans l’actualité littéraire, un peu comme ces femmes qui font un enfant très jeune et puis un second au début de la quarantaine quand plus personne ne s’y attend. En l’occurrence, le bébé se prénomme Veronica et est tout aussi lumineusement désenchanté que son grand frère. Alison a presque 50 ans. Et une santé chancelante. Atteinte de l’hépatite C, sujette aux maux d’estomac et à la fièvre, elle subsiste en faisant le ménage chez un ancien amant. Une héroïne qui rappelle un peu Edie Sedgwick, la flamboyante égérie de Warhol. Le temps où Alison brillait sur les podiums comme mannequin à New York, Milan ou Paris paraît bien loin. Il faut dire qu’elle s’est joliment carbonisé les ailes. Drogue, argent facile, mauvaises fréquentations, elle n’a évité aucun des pièges qui s’offraient à elle. Vingt ans plus tard, elle se souvient de cette époque. Mais aussi de son enfance tumultueuse et de cette amie excentrique, Veronica, morte du sida quelques années plus tôt entourée de sa solitude. Une amitié sincère et néanmoins singulière. Les souvenirs se télescopent, s’entremêlent, se frôlent, s’embrasent. La chronique new-yorkaise n’a rien de léger et papillonnant. Elle suinte la désillusion par tous les pores. Mais cette noirceur étrangement souligne plus qu’elle n’étouffe le peu de lumière qui filtre. Un portrait hallucinant et halluciné d’une femme de notre époque. Déchirant. Pourvu qu’on ne doive plus attendre 20 ans pour avoir de ses nouvelles… ou de ses romans.

L.R.

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