Variations autour de l’aliénation

Le Cabinet du docteur Caligari © FilmPublicityArchive/United Arch

Depuis les origines, le cinéma s’est penché sur les manifestations de la folie et sa prise en charge. Panorama en cinq films.

Le Cabinet du docteur Caligari – De Robert Wiene, 1920.

Avec ses décors peints sur toiles en perspectives faussées où les lignes obliques s’entrechoquent, et ses contrastes violents, Le Cabinet du docteur Caligari s’est imposé comme l’un des chefs-d’oeuvre du cinéma expressionniste allemand. Un jeune homme y raconte l’histoire survenue dans une petite ville germanique, lorsqu’un fonctionnaire ayant refusé au mystérieux docteur Caligari de présenter son attraction à la fête foraine -un somnambule nommé Cesare et doué de voyance-, avait été retrouvé mort, les soupçons se reportant bientôt sur le médecin… Jouant habilement du clair-obscur, habité par la présence trouble de Conrad Veidt hantant la nuit de sa démarche féline, Le Cabinet du docteur Caligari produit toujours une impression indélébile, Wiene y orchestrant le ballet de la folie et de la mort dans une atmosphère oppressante, culminant dans un saisissant renversement de perspective. Imprégné de romantisme allemand, un classique à la descendance nombreuse.

Persona
Persona© Getty Images

Persona – D’Ingmar Berman, 1968.

De ce chef-d’oeuvre tourné au crépuscule des années 60, Ingmar Bergman disait: « Je sens aujourd’hui que dans Persona , je suis arrivé aussi loin que je peux aller. Et que j’ai touché là, en toute liberté, à des secrets sans mots que seul le cinéma peut découvrir. » Le maître suédois y met en scène Elisabet Vogler (Liv Ullmann), une actrice de théâtre tombée dans un mutisme total lors d’une représentation d’ électre, et Alma (Bibi Andersson), une jeune infirmière, chargée de veiller sur elle, les deux femmes partant bientôt pour une maison isolée du bord de mer où, au silence de la première, répond le flot de paroles ininterrompu de la seconde. Portrait de deux personnalités en miroir, Persona adopte les contours austères et éprouvants d’une cure analytique où les rôles s’inversent, pour un résultat non moins concluant, où le cinéma se révèle instrument aiguisé d’investigation, les expressions, filmées avec une précision chirurgicale, s’avérant plus éloquentes encore que les mots.

One Flew Over the Cuckoo's Nest
One Flew Over the Cuckoo’s Nest© FilmPublicityArchive/United Arch

One Flew Over the Cuckoo’s Nest – De Milos Forman, 1975.

Adapté du roman La Machine à brouillard, de Ken Kesey, Vol au-dessus d’un nid de coucou suit Randle McMurphy (Jack Nicholson), un détenu de droit commun prêt à tout, jusqu’à simuler une maladie mentale, pour échapper à la prison. Et bientôt interné dans une institution sur laquelle Miss Ratched (Louise Fletcher), l’infirmière en chef, fait régner un climat de terreur. Un système dont le nouveau venu va tenter de saper les fondements en organisant la désobéissance et la subversion avec le concours des autres patients, au premier rang desquels un Indien mutique mais n’en pensant pas moins, rébellion qui ne restera pas sans conséquences. Dépeignant l’établissement psychiatrique comme un univers répressif, le film de Milos Forman apparaît comme une parabole sur la résistance aux régimes totalitaires. Un propos trouvant à l’écran une puissance bouleversante, idéalement servie par la composition de Jack Nicholson, et la présence de Will Sampson. Un classique, auréolé des Oscars les plus prestigieux, couronnant les meilleurs film, réalisateur, acteur et actrice.

A Dangerous Method
A Dangerous Method

A Dangerous Method – De David Cronenberg, 2011.

Adaptant la pièce The Talking Cure, de Christopher Hampton, A Dangerous Method voyait David Cronenberg s’aventurer en terrain plus classique que de coutume pour se pencher sur la relation qui unissait, au début du XXe siècle, Sigmund Freund et Carl Jung, les pères de la psychanalyse. Relation envisagée par l’intermédiaire de Sabina Spielrein, une jeune femme sujette à de violentes crises d’hystérie, et hospitalisée dans la clinique suisse où officiait Jung, le médecin trouvant en elle la patiente idéale pour expérimenter les théories de Freud. Non sans que le débat théorique foisonnant en résultant se trouve bientôt mis à l’épreuve d’une relation ne tardant pas à sortir du strict cadre médical. Bien aidé par le trio Keira Knightley-Michael Fassbender-Viggo Mortensen, Cronenberg s’insinue avec bonheur dans les méandres de la psyché, explorant des thématiques qui lui sont chères, au croisement des pulsions de sexe et de mort. Et le film, vertigineux par endroits, d’opérer comme la synthèse de son cinéma.

Jimmy P.
Jimmy P.

Jimmy P. – D’Arnaud Desplechin, 2013.

Avec Jimmy P., Arnaud Desplechin se risquait à l’adaptation de Psychothérapie d’un Indien des Plaines, l’ouvrage fondateur de Georges Devereux publié à l’orée des années 50. Un livre où l’ethnopsychiatre français consignait, séance après séance, les minutes de l’analyse qu’il avait entreprise sur Jimmy Picard, indien Blackfoot sorti traumatisé de la Seconde Guerre mondiale, et souffrant de troubles multiples qui lui avaient valu d’être admis dans un hôpital militaire spécialisé dans les maladies du cerveau. Si l’ouvrage était objectivement aride, l’auteur d’ Un conte de Noël réussissait à l’amener en terrain purement cinématographique, doublant l’analyse, du reste passionnante, du récit d’une amitié improbable, la thérapie ayant aussi le don de révéler l’un à l’autre deux hommes qu’une complicité grandissante va rapprocher en plus de leur condition d' »exilés » à mesure que le patient se raconte à travers des rêves de plus en plus prégnants. Desplechin y puisait une matière romanesque féconde, trouvant dans cette pâte humaine matière à questionner également l’Histoire américaine.

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