Vagues à l’âme

En mêlant un récit historique sur le surf et sa propre love story tragique, AJ Dungo donne corps au roman graphique le plus original de la rentrée.

Kristen est décédée le 22 février 2016, à l’âge de 25 ans. Dix ans après l’apparition de son premier ostéosarcome, un cancer qui lui coûta d’emblée une jambe. Également dix ans après le début de son histoire d’amour avec AJ, skateur timide qui fera, lui, des études en illustration à l’Art Center College of Design de Pasadena. Kristen ne voulait pas qu’il arrête, même à l’ultime rechute, lui faisant promettre  » de continuer à exister par ton dessin« . AJ Dungo a tenu sa promesse: son premier roman graphique convoque l’océan et le surf pour sublimer les émotions de son deuil et exprimer l’amour intense qu’il vouait à Kristen -comme s’il lui fallait l’immensité de l’océan pour tenter de noyer son infini chagrin.

Le designer qu’il est aurait pu se « contenter », comme dans son travail de fin d’année remarqué par les impeccables Anglais de Nobrow, de mettre en dessins un récit, rare, autour de l’Histoire du surf et d’une de ses figures marquantes, l’Américain Tom Blake. Ce dernier révolutionna la discipline en inventant dans les années 50 la « hollow board », une planche plus légère et plus maniable que toutes les autres, causant à la fois la démocratisation du surf et la fin de son âge d’or -pratique jusque-là quasi mystique et réservée aux Hawaïens. Un récit et une trajectoire qui vont naturellement s’additionner, puis fusionner, avec son récit autobiographique, endeuillé et intime: non seulement AJ Dungo pratique le surf et l’a pratiqué avec Kristen, mais la mélancolie de l’océan va naturellement s’imposer dans son histoire, son esthétique et son récit:  » Tom Blake incarnait la résilience et le réconfort du surf pour tous ceux que la vie avait brisés. Cette idée m’a entièrement habité. Après la mort de Kristen, j’ai passé beaucoup de temps seul, dans l’eau. »

Vagues à l'âme

Grâce et respiration

Alternant les époques, s’arrêtant sur des instants choisis tantôt de sa vie tantôt de l’Histoire du surf, AJ Dungo use d’aplats en bichromie et d’une ligne claire souple comme les vagues, évoquant les traits de Craig Thompson ou d’Adrian Tomine, avec une maîtrise et une originalité saisissantes. Craig Thompson en a d’ailleurs fait son  » roman graphique préféré au monde« . Dans la minipréface que Casterman a ajoutée en ouverture de ce très beau et émouvant objet qu’est la version francophone de In Waves, l’auteur américain ne tarit pas d’éloges sur le premier livre de son nouveau collègue, jusque-là designer pour une marque de chaussures:  » AJ écrit et dessine comme un surfeur, avec fluidité, grâce, et une véritable maîtrise de la respiration. Au lieu de lutter contre le courant, il parvient à se fondre dans le flot du chagrin et de l’amour sans jamais nous y noyer. Il s’abandonne au pouvoir infini de l’océan et à son mystère pour guérir le vide laissé par le deuil. » Pas mieux.

In Waves

D’AJ Dungo, éditions Casterman, 376 pages.

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