Tous deux opérés par le même chirurgien controversé(1), Charlotte Gainsbourg et Johnny Hallyday ont des douleurs contrastées. De son hémorragie, la première a nourri un disque et un film, pas sûr que le second transforme son hernie discale en création.

Johnny débarque à l’aéroport de Los Angeles poussé dans une chaise roulante, sans garde du corps, en état de douleur muette, soumis à la curiosité banale des passants (français): ces images sont une première. Ou en tout cas, le rappel d’une autre époque -préhistoriques années 60- où Johnny crashe des voitures de sport à la chaîne ou s’offre une tentative de suicide quasi publique. Harcelé par la presse et les fans, il n’a pas encore corseté ses apparences derrière des montagnes de protection en ray ban ou fait de la souffrance le personnage le plus régulier de ses chansons-confessions: celui qui va peu à peu bâtir son image de chanteur abandonnésouvent en rupture de souffrance physique ( Comme si je devais mourir demain, 1972). D’une manière assez ironique, cette image sublimée de mec-qui-souffre, portée par un marketing sans grande fioriture, a fini par le terrasser à Los Angeles. La ville où il n’est rien, sauf un sexagénaire qu’on emmène aux urgences. Avec comme épilogue, l’annulation de la dernière ligne droite de son Tour 66. Une partie de son épargne-pension s’évanouit en même temps que la projection fantasmée de Terminator invincible du blues hexagonal. La quintessence du rock français stoppée net par un staphylocoque doré, c’est moche.

Gore power

Gainsbourg junior, également opérée par le même chirurgien, a commué son accident de santé de septembre 2007 -une hémorragie cérébrale suite à une chute en jet-ski- en deux bébés créatifs. Récemment, son album concocté par Beck, se permet une allusion dès le titre IRM(2) et revient au sujet mortifère dans Le chat du café des artistes. Pas du tout écrit pour la circon-stance(3), le morceau traduit néanmoins les pensées de Charlotte croisant la Faucheuse: « Quand on est mort, c’est qu’on est mort/Quand on ne rit plus, c’est qu’on ne vit plus ». Bien vu, Charlotte. A l’été 2008, elle tourne dans Antichrist du Danois Lars Von Trier qui sort ces temps-ci en DVD. Récompensée par le Prix d’interprétation féminine à Cannes 2009, Gainsbourg y est étincelante, malgré le scénario mélo qui s’achemine peu à peu vers le gore douteux. Le script est pervers: l’enfant du couple Gainsbourg/Willem Dafoe s’écrase accidentellement au sol alors que ses parents font l’amour, et le drame fait naître chez les géniteurs un terrifiant sentiment de culpabilité. Et Charlotte de partir dans le grand guignol: quand elle ne se mutile pas la minette, elle se contente de forer la jambe de son mec pour y installer un essieu de métal et une roue de pierre. Cool meuf. La souffrance du film et celle de sa propre hémorragie cérébrale se transforment en sketch de marionnettes: marrante la Charlotte. Elle frôle la mort (dans la vraie vie) puis en fait un cake, une daube, une poussée de fantastique, une fièvre de fiction. Johnny peut en prendre de la graine de souffrance, c’est elle la vraie star.

(1) Stéphane Delajoux, neurochirurgien des stars, a été plusieurs fois

condamné pour escroquerie et fraude fiscale, mais aussi pour erreur médicale, ayant par exemple opéré une patiente de la mauvaise vertèbre…

(2) Imagerie par résonance magnétique.

(3) Il s’agit d’une reprise du « Gainsbourg québécois » Jean-Pierre Ferland.

LA CHRONIQUE DE PHILIPPE CORNET

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