Avant de se mettre en veille pour un temps, Zita Swoon fête joyeusement ses 15 ans – double compil’ et concerts à la clé. Retour sur un des fleurons du rock made in Belgium.
Fin octobre, Louvain-la-Neuve. Dans la cour de la ferme du Biéreau, Stef Kamil Carlens profite des derniers rayons de soleil automnal. Quelques instants auparavant, sur le plateau de D6bels on stage, il répétait avec JP Nataf Un monde parfait, le tube des Innocents. Un petit challenge quand même: Carlens a appris la chanson et ses circonvolutions pop le matin même. Concentré, il sait qu’il peut compter sur son groupe 4 étoiles. Zita Swoon est en effet devenu aujourd’hui une imparable boîte à musiques, caravelle de 8 personnes qui aurait gardé la maniabilité d’un petit voilier. C’est le résultat de centaines de concerts enchaînés ces dernières années. Ceux qui ont assisté à l’un d’entre eux ont pu entendre et voir se déployer une matière musicale jouissive: aussi agile et libre que ronronnante et réconfortante, comme le chat qui vient se frotter à vos jambes. Sur scène, Zita Swoon dégage ainsi les mêmes propriétés chimiques euphorisantes que les ocytocines, hormones de l’attachement: irrésistibles.
On se faisait encore la réflexion, un mois plus tard, en passant une tête au Rabbitfield, le studio/local de répèt’ aménagé par Stef du côté d’Hoboken (Anvers). Grandes vitres donnant sur la cour de l’ancienne scierie, parquet chaleureux, flyers du dernier album live de Tom Waits traînant un peu partout: l’endroit est une petite bulle, à faire oublier le temps de chien qui souffle dehors. A l’intérieur, les musiciens, disposés en cercle, déroulent les chansons avec une souplesse infinie. C’est bien simple: ce groupe-là semble jouer comme il respire.
Il faut en profiter. Zita Swoon s’apprête à hiberner. Stef Kamil Carlens a en effet décidé de ralentir le tempo. « Je vais avoir 40 ans. C’est l’occasion de faire le point, de clore une période. J’ai envie de vivre un peu, de faire de nouvelles rencontres, de lancer de nouveaux projets. En même temps, on va continuer à jouer à gauche et à droite. Mais plus en clubs ou en festivals. Plutôt dans le cadre de projets spécifiques. Comme Dancing With The Sound Hobbyist, la collaboration qu’on a lancée avec Rosas (la compagnie de danse d’Anne Teresa De Keersmaeker, ndlr) . »
Incunables
En attendant, avant de mettre Zita Swoon entre parenthèses, Stef Kamil Carlens entend bien marquer le coup. Avec une série de concerts festifs à l’Ancienne Belgique et la sortie d’une double compilation. To Play, To Dream, To Drift rassemble, d’un côté, les incontournables d’un répertoire riche de 11 albums et, de l’autre, une douzaine d’inédits. Dont une bonne moitié d’incunables datant d’avant même la sortie du premier album. C’était à la fin des années 80, début des années 90. « A l’époque, on sortait encore des cassettes. On en a fait trois comme ça, qu’on distribuait à 50 exemplaires. C’était assez basique. Mais la texture reste très chouette, cela sonne un peu faux… J’aime bien l’esprit qu’il y a dedans, très libre, un peu fou. On n’avait pas encore un grand bagage musical, on faisait des chansons avec trois accords. Aujourd’hui c’est différent, tout le monde sait très très bien jouer. Sauf moi! » (rires).
De cette époque, seul Aarich Jespers (batterie) est toujours fidèle au poste . « J’ai rencontré Stef au collège. On suivait tous les deux des humanités artistiques, au Rikso, à Anvers. On était tous plus ou moins autodidactes. Au départ, je n’avais même qu’une demi-batterie: une caisse et des cymbales. » Pas besoin de plus pour faire la musique que Stef Carlens a en tête. « Au début je voulais faire un groupe de blues avec un son original, européen. Il y avait déjà plein de groupes à Anvers qui jouaient bien le genre, mais en faisant toujours un peu la même chose. Je voulais y glisser un esprit un peu plus punk. »
Pour enfoncer le clou, à l’instar des bluesmen noirs américains au triple patronyme (Mississippi John Hurt, Blind Willie Johnson…), Stef rajoute le prénom de son grand-père, Kamil, à sa carte d’identité artistique. Au même moment, il fait connaissance avec Tom Barman, qu’il encourage à écrire ses propres chansons. Au bout du compte, Barman demande à Carlens s’il ne veut pas rejoindre son groupe, baptisé dEUS. La suite appartient à l’histoire du rock noir-jaune-rouge. Stef Kamil Carlens reste le temps des deux premiers albums, avant de reprendre sa route.
Elle ne sera pas de tout repos. Le premier album, Everyday I Wear a Greasy Black Feather on my Hat, sort en 95. Le groupe se fait alors appeler Moondog Jr. Pas de bol: cela n’est pas du goût de Moondog, l’artiste avant-gardiste américain qui met la pression pour que Stef Kamil Carlens change de nom. Complètement dépité, Carlens rebaptise sa formation en Zita Swoon. « Avec ce nom-là, au moins, j’étais certain de ne pas avoir le même problème. »
En français dans le texte
A partir de là, Zita Swoon va multiplier les disques et les expériences. Parfois parallèles, comme la bande-son de Sunrise, le film muet de Murnau (1927), ou celle du spectacle réalisé avec les Ballets C. de la B., Plage Tattoo/Circumstances. Au fil du temps, la composition du groupe change aussi régulièrement. Rudy Trouvé, camarade de la première heure au sein de dEUS: « En même temps, Zita Swoon a toujours eu une identité très forte, immédiatement reconnaissable. Le genre de groupe que l’on repère directement quand il passe à la radio. C’est une grande qualité. «
La dernière mutation d’envergure a eu lieu en 2004. Avec A Song About A Girls, SKC retrouve des couleurs plus acoustiques, tout en ouvrant de nouvelles portes. Par exemple, en chantant pour la première fois en français, appel du pied au marché hexagonal. La presse suit d’ailleurs plutôt le mouvement, et quelqu’un comme Miossec, fan déclaré, les emmène en tournée. Au bout du compte, le public n’accroche cependant que timidement. Rencontré en septembre dernier, le Breton s’exclamait encore: « Fais ch… C’est mon côté pute ou je sais pas quoi, mais je n’aimerais pas qu’un groupe comme Zita reste confidentiel, alors que fondamentalement c’est un truc populaire… Vous auriez vu comment ils retournaient les salles dans lesquelles on jouait. Le pied. Du coup, passer après eux, c’était coton… Malgré ça, cela n’a pas pris… Avec le recul, je ne suis pas certain que le français soit une bonne idée. Quand on voit un groupe comme Ghinzu qui remplit un Zénith… »
En 2004, la palette s’élargit aussi avec, par exemple, l’arrivée de percussions (Stef: « c’est l’apport de Kobe Proesmans, qui est Belge mais a étudié à la Havane. Cela a provoqué un déclic dans ma tête »). Pour la première fois, apparaissent également les ch£urs des s£urs Gysel. Métisses belles à damner, le trio, aujourd’hui duo, est devenu un point d’ancrage central dans la musique de Zita Swoon. Kapinga Gysel: « Stef nous avait entendues à la radio. Il nous a invitées à un barbecue chez lui. L’album était déjà quasi bouclé, mais il a insisté pour qu’on fasse encore des ch£urs sur un titre (Me And Josie On A Saturday Night, ndlr). Il était déjà tard le soir – et cela s’entend d’ailleurs par moments (rires). Mais cela a directement fonctionné. »
Africa Express
Du blues rocailleux des débuts, Zita Swoon est ainsi passé à une musique plus ronde, qui picore aussi bien dans la soul que dans la world music. Stef: « J’écris toujours les chansons, mais à chaque nouveau musicien qui arrive, le son change. Je les laisse faire. » Confirmation de Kapinga Gysel: « L’expérience de Zita Swoon nous a permis de nous développer personnellement. Stef sait très bien ce qu’il veut, mais en même temps il nous laisse beaucoup d’espace pour créer notre propre personnalité. » Rudy Trouvé: « Je n’ai jamais joué avec Stef comme leader. Par contre, dans tous les groupes dans lesquels on s’est croisés, j’ai pu constater qu’il se mettait à chaque fois complètement au service du collectif et des chansons. En cela, c’est toujours le pied de bosser avec lui. » Aarich Jespers: « Par rapport à Stef, Rudy est une autre sorte de leader. Il pond tellement de chansons que si l’une ne fonctionne pas, il passe à une autre. Stef, lui, va plutôt s’obstiner jusqu’à trouver la solution. »…
Quelle sera la prochaine mutation de Zita Swoon? Plusieurs pistes sont sur la table. Stef: « Trois projets sont dans l’air. Il y a la série de dates avec The Sound Hobbyist; l’idée d’un groupe vocal, cinq, six voix et aucun instrument; et puis, à l’inverse, le Zita Swoon Orchestra, uniquement disponible pour des musiques instrumentales… « Avant cela, il y aura surtout un voyage en Afrique. « En janvier, je vais passer un peu de temps au Mali et Burkina Faso. Je veux voir s’il y a peut-être moyen de faire quelque chose là-bas. Cela fait longtemps que je suis en admiration devant les musiques africaines. Depuis 4, 5 ans, j’en écoute pas mal. Ali Farka Touré, Rokia Traoré, la vieille rumba congolaise, toute la série Ethiopiques… J’adore les couleurs, l’esprit, la lenteur parfois, le raffinement aussi. »
Comment tout cela va-t-il se refléter ou pas dans les chansons de Zita Swoon? Rendez-vous est pris d’ici deux ans, promet SKC. On y sera.
Zita Swoon, To Play, To Dream, To Drift , Chikaree/Bang!. En concert à l’Ancienne Belgique, Bruxelles, les 9 (complet), 10 et 12/12.
Texte Laurent Hoebrechts
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