Une vraie tuerie

Philippe Squarzoni poursuit l’adaptation du documentaire de l’auteur de The Wire sur le quotidien des flics de Baltimore. Profond et maîtrisé.

Le tableau des victimes de l’unité des homicides de Baltimore ne change guère en ce 2 avril 1988: les noms en rouge y sont toujours nombreux. Et pour cause, la ville du Maryland comptabilisera cette année-là 240 meurtres sur son seul territoire. Des meurtres qui, tous, vont demander l’attention, l’implication et des milliers d’heures de travail aux inspecteurs d’une brigade que David Simon, alors journaliste, a suivis à la trace et au plus près pendant un an. Une année dans les rues de Baltimore, qui deviendra un livre (édité depuis, en français, chez Sonatine), puis une série, Homicide, laquelle débouchera sur une autre, toujours de David Simon, The Wire, toujours culte 17 ans après, la série policière fut d’abord diffusée sur HBO, de 2002 à 2008, et a sans doute changé à jamais la manière dont on peut raconter le travail policier, loin du spectaculaire. Philippe Squarzoni, lui, a découvert le livre de Simon sur le tard, mais en a fait depuis cinq ans son grand oeuvre. Homicide, qu’il conclura par un cinquième tome en juin prochain, est à son tour un récit totalement immersif dans le quotidien de 19 flics, mais aussi un roman graphique magistral, comme peu en sont capables, dans sa manière d’utiliser à fond tous les codes propres à la bande dessinée.

Une vraie tuerie

Fond et forme

Le quotidien des flics, donc. Pas de poursuites en bagnole, pas de fusillades, pas de mobiles alambiqués, pas d’altercations télégéniques. Mais des cadavres qui chassent d’autres cadavres, et des dossiers qui s’entassent sur d’autres dossiers. Et comme le dit l’inspecteur Pellegrini, la voix off étouffante qui accompagne le récit depuis ses débuts,  » un bon flic, penché sur ce spectacle obscène, ne perd pas son temps à s’interroger sur la nature du mal ou l’inhumanité de l’homme envers son prochain. Il se demande si cette blessure aux bords déchiquetés est due à un couteau à dents« . Et Pellegrini, comme ses collègues Worden, Brown, Landsman ou Ceruti, sait au moins une chose avec certitude, la seule sans doute dans ce foutu métier:  » Le remède n’est pas l’affaire suivante. Ni celle d’après. Le remède est sur son bureau. » Pour narrer ce travail lent, long et ingrat, Philippe Squarzoni peut donc se reposer sur un texte fort, un documentaire au plus près du réel, mais aussi sur toutes les ficelles qui n’appartiennent qu’au 9e art (et souvent au comics, grosse référence de notre auteur français), les maniant avec un talent juste énorme: dilatation du temps et bichromie anxiogènes, narration en « splash pages », incrustations, doubles-pages… Cet Homicide devient alors une somme impossible à lâcher et profondément passionnante, tant sur le fond que la forme.

Homicide, une année dans les rues de Baltimore (4/5)

De Philippe Squarzoni, d’après David Simon, éditions Delcourt, 136 pages.

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