Dans la famille nombreuse des écrivains qui brodent autour d’un fait divers, Claire Castillon est un peu l’antithèse de Régis Jauffret. Autant il ne lâche pas son os, autant elle prend la clé des champs, ne jetant des passerelles entre fiction et réalité que dans les ultimes pages d’un roman qui se nourrit avant tout de son imaginaire débridé. Lorsqu’on la rencontre un jour de janvier gelé comme un frisco, l’auteure reconnaît d’ailleurs de sa voix menue  » qu’elle a commencé à écrire le roman avant de chercher une histoire sordide et de l’intégrer au récit puisque l’idée était de publier le texte dans la collection  » Ceci n’est pas un fait divers » de Grasset » . On a déjà vu association plus spontanée…

Cela ne fait pas un mauvais roman pour autant. Au contraire. Au-delà de l’alibi un peu léger qui permet de surfer sur la vague de l’authenticité, ce portrait au féminin qui dézingue les bonnes manières a le goût d’un bonbon au poivre qui fait pleurer de rire autant que de tristesse. Evelyne a 12 ans quand son père décide de donner une leçon à son chien adoré pour qu’il arrête d’aboyer pour tout l’immeuble. Il accroche la bête à sa voiture et la trimballe dans le quartier. Résultat: une patte arrachée, des contusions partout et une petite fille meurtrie à tout jamais. Et habitée depuis cet instant par une drôle de voix qui peut la pousser à faire des choses, disons, étonnantes. Comme de donner des coups de marteau à sa mère. Ou comme de mener plus tard une double vie, de femme mariée à un pizzaïolo d’un côté, d’escort-girl sentimentale de l’autre. Rien ne sera de toute façon pire que ce trauma initial qui la tient en laisse au désespoir.

Argot maison

Le sexe, omniprésent comme toujours chez l’auteure du Grenier, apparaît ici comme une oasis dans un désert affectif.  » Je ne le fais pas exprès, confie le jeune femme. Je préfère ne pas trop creuser de peur de perdre ma voix intérieure. Tant que ça a un rapport avec l’histoire, ça ne me gêne pas. Vu qu’Evelyne a la tête en vrac, c’était logique qu’elle parle avec son corps. » Burtonien par sa façon enfantine de traiter l’horreur, Les merveilles est une fable exquise sur la souffrance et l’enfance gâchée. Pour emballer ce propos dur comme le bitume, Claire Castillon a inventé un argot succulent qui désamorce la vulgarité et rend soutenables, et même parfois comiques, les scènes d’horreur. Du vécu, précise la romancière, qui dit s’être inspirée d’une tragédie personnelle:  » J’ai projeté dans Evelyne la douleur que j’ai ressentie à la mort de mon chien. Ce qu’elle ressent en voyant son père correspond à ma souffrance à ce moment-là. »

Un jour où ses cloches sonneront à toute volée, Evelyne plantera 18 coups de couteaux à un client énamouré, moment où la fiction rejoint la réalité d’un fait divers daté de 2005. Une fin un peu raide mais qui n’effacera pas la gouaille ravageuse de cette gamine attachante.

LES MERVEILLES, DE CLAIRE CASTILLON, ÉDITIONS GRASSET, 240 PAGES.

L.R.

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