Un nouvel âge de ténèbres

© Mikael Lundblad/mikaelcreative.com

La technologie, c’est le mal. Les intelligences artificielles, un danger pour l’humanité. Les robots, une menace pour les travailleurs. Ce n’est pas un scoop: notre relation à la technique oscille en permanence entre fascination béate et angoisse plus ou moins explicite. C’est aussi le cas du côté des intellos. À côté des rares prophètes sponsorisés par les grandes entreprises de la tech, on compte surtout des figures critiques ne cessant de dénoncer les risques et les horreurs liés à l’extension du domaine des machines. James Bridle, lui, est un animal rare. Quelqu’un qui, malgré son pedigree de gauche, n’appartient à aucun des deux camps. Un nouvel âge des ténèbres, titre menaçant en réalité piqué à Howard Phillips Lovecraft, est même un livre qui se refuse de manière explicite à trancher. À travers le récit d’innombrables événements, faits et anecdotes contemporains impliquant Google, YouTube, des datacenters, Uber Eats, des turbulences aériennes, les vapeurs émises par des centrales thermiques, etc., le livre de Bridle ressemble à un voyage du côté obscur de la paranoïa -mais dont la morale se refuse à ladite paranoïa. Il se veut plutôt un appel à penser, et donc à activer notre relation aux machines, aux ordinateurs, aux infrastructures, au lieu de nous laisser écraser par celle que d’autres nous livrent prémâchée. Notre problème, ce n’est pas la technologie, mais notre ignorance à son propos -les  » ténèbres » dans lesquelles nous évoluons lorsqu’il est question d’elle. Plaidoyer pour une véritable culture de la technique, pour le développement d’une nouvelle conscience de sa réalité, Un nouvel âge des ténèbres se veut aussi un outil de défense contre la menace qu’en effet sa suprématie actuelle incarne. Mais une telle défense, si elle continue à prendre la forme épileptique du refus de principe, n’aura pas d’autre effet que nous livrer pieds et poings liés à son développement. Touffu, vertigineux et passionnant, c’est un livre à mettre entre toutes les mains.

Un nouvel âge de ténèbres

De James Bridle, éditions Allia, traduit de l’anglais par Benjamin Saltel, 320 pages.

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