Comme dans Les Témoins, André Téchiné nous confronte dans La Fille du RER aux peurs latentes de notre société.

Une (fausse) agression antisémite imaginée et dénoncée par une jeune fille un peu perdue. La presse et la politique qui s’emballent sans prendre la peine de vérifier l’info. Et tout qui se dégonfle piteusement, dans la honte… L’affaire fit grand bruit en France voici quelques années, et inspira une pièce dont André Téchiné ( J’embrasse pas, Les roseaux sauvages…) tire aujourd’hui un film remarquable, avec Emilie Dequenne dans le rôle principal. Le réalisateur nous parle de LaFille du RER, film aux nombreuses résonances psychologiques, politiques et sociales.

En revenant (très librement) sur cette affaire de fausse agression antisémite, vous avez choisi d’aborder un sujet que beaucoup, en France, auraient préféré oublier…

J’avais été moi-même profondément troublé par ce fait divers, le plus médiatisé de ces dernières années. C’était une matière inédite et passionnante pour un film. L’histoire d’un mensonge. Un mensonge aux effets de miroir reflétant toutes nos peurs. Comme un révélateur de notre société. Un mensonge qui est, en fait, l’appropriation d’une vérité. Car les agressions antisémites existent et se multiplient. C’est pourquoi je montre dans le film, dans le journal télévisé, le témoignage d’une victime ayant été attaquée brutalement pour la seule raison qu’elle est juive. Le mensonge du personnage joué par Emilie Dequenne est d’autant plus étrange qu’il touche la vérité. Quelle matière romanesque, cinématographique mais aussi humaine! Et que de questions posées au spectateur!

A travers l’emballement médiatique irréfléchi, c’est la communication dans notre société qui se voit aussi épinglée?

Absolument. Car le personnage réel, celui du fait divers, avait déjà déposé de fausses plaintes à cinq reprises! Un simple recoupement aurait pu tout arrêter. Mais la réaction immédiate des médias, des politiques au plus haut niveau, a répondu – je crois – aux hantises profondes d’une société inquiète autant que pressée.

Pourquoi avez-vous choisi Emilie Dequenne pour jouer celle par laquelle le scandale arrive?

Je voulais une actrice qui puisse projeter la joie de vivre. Je voulais enlever toute lourdeur pathologique au personnage. Je ne voulais pas qu’on puisse la soupçonner d’emblée de glisser sur la pente savonneuse de la dépression. Je la voulais au contraire lumineuse, solaire, rieuse. Je voulais aussi en faire une figure populaire. D’Emilie Dequenne, je gardais le souvenir de son travail chez les Dardenne, dans Rosetta que j’aime beaucoup. Je pressentais qu’elle pourrait tout à la fois incarner ces vertus populaires (loin de toute référence bourgeoise), cet aspect solaire, et en même temps conserver ce qu’il faut d’opacité, de dureté intérieure, d’énigme liée à des abîmes qu’elle ne peut ni expliquer ni communiquer. Emilie a tout ça à la fois, le côté positif, athlétique, charnel, et aussi le mystère intérieur.

La manière dont vous filmez le dialogue sur Internet de l’héroïne et de son futur petit ami est extraordinaire…

Je ne connaissais rien à cette manière de communiquer. Je me suis senti très libre, instinctivement, de la filmer avec une grande intimité, une grande sensualité, un aspect organique à rebours peut-être de ce que d’aucuns pensent sur cette manière de communiquer. J’ai abordé la chose comme un explorateur, sans point de vue critique, en me positionnant résolument du côté de ces jeunes et de leur mode de vie, sans poser le moindre jugement moral. Je n’en pose pas non plus sur le mensonge de la fille, d’ailleurs. Il n’était pas question pour moi de l’accabler…

Comme dans Les Témoins, vous abordez une grande peur collective…

Ces deux films ne sont pas très éloignés du cinéma fantastique. Le sida dans un cas, le mensonge effrayant dans l’autre, relèvent au départ de l’inacceptable, du terrifiant. Miroirs de nos peurs collectives, ces deux films sont au fond des films de hantise, des films fantastiques sous une apparence réaliste.

Entretien Louis Danvers

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