Le musée du quai Branly ouvre ses portes à Tarzan, l’homme singe, mettant en perspective un héros aux multiples déclinaisons…

OooooYoooYooo, Yooo, Yooo…. Tarzan quittant sa jungle pour prendre ses quartiers d’été au musée du quai Branly, à Paris, et voilà que l’imagination se met à bondir de liane en liane. Question mythe, l’homme singe imaginé par Edgar Rice Burroughs se pose un peu là, en effet, ajoutant à ses attributs de héros, le cadre magique de ses exploits, une Afrique imaginaire telle que la culture populaire du XXe siècle la représentait. Un monde en soi, stéréotypé, menaçant et non moins fantasmatique, décor sublimé d’aventures exotiques, en prise directe sur l’inconscient collectif occidental.

Cette double dimension, elle se trouve au c£ur du parcours à la fois ludique et instructif imaginé par le commissaire de l’exposition, Roger Boulay. Lequel, non content de décortiquer le mythe en ses multiples déclinaisons, le resitue judicieusement dans son temps – Tarzan est le produit d’une époque où ont cours les stéréotypes coloniaux ou racistes -, à quoi il lui ajoute encore une singulière modernité. Pour servir ce projet, une quantité impressionnante de pièces de première main – éditions originales, planches de bandes dessinées, gadgets divers et autres photos de films, des plus fameux aux navets les moins défendables, sans oublier des objets issus des collections d’art africain du musée. Le tout, disposé suivant une scénographie limpide, qui plonge littéralement le visiteur au c£ur du sujet, à peine s’est-il aventuré sur la rampe conduisant à l’exposition et à la genèse de l’£uvre.

L’héritier de Romulus et Rémus

Au commencement, donc, était Lord Greystoke, troisième du nom, nourrisson abandonné à la jungle dans des circonstances dramatiques et recueilli par des singes qui l’appelleront bientôt Tarzan – « peau blanche », dans leur langue. Ainsi naît Tarzan en 1912 dans Tarzan of the Apes, sous la plume de l’écrivain américain Edgar Rice Burroughs (1875-1950). Si ce dernier n’a jamais mis les pieds en Afrique, il a par contre visité l’exposition universelle de Chicago, sa ville natale, en 1893; une parmi diverses influences, revendiquées pour certaines – Romulus et Rémus, Rider Haggard, les théories évolutionnistes de Darwin -, déniées pour d’autres, comme Kipling et Mowgli, enfant sauvage fameux. Une parentèle à laquelle se voient ajoutés des personnages aujourd’hui oubliés comme le Saturnin Farandoul d’Albert Robida, ou le Polydore Marasquin de Léon Gozla.

Burroughs écrira 26 aventures de Tarzan de 1912 à 1947, avec un succès jamais démenti (il allait vendre quelque trente millions d’ouvrages de son vivant). Il en fait un héros réfractaire au progrès, doué d’une intelligence exceptionnelle qui lui permettra d’apprendre à lire et écrire de manière autonome, et même de s’affirmer polyglotte accompli, maîtrisant nombre d’idiomes humains auxquels il a ajouté le langage des animaux. A des années-lumière, donc, du demeuré sympathique qu’en fera le cinéma, à peine capable de baragouiner « moi Tarzan, toi Jane », dé-évolution qui avait le don d’exaspérer le romancier.

Mais voilà, dès 1918, Hollywood s’est emparé de son £uvre, pour une première version de Tarzan of the Apes que signe Scott Sidney avec Elmo Lincoln dans le rôle titre. Comme celui des romans, le succès est immédiat. Tarzan mène donc une double, et bientôt une triple vie, la bande dessinée s’emparant à son tour du phénomène en 1929, par Harold Foster interposé – le premier des 13 dessinateurs qui se relaieront pour crayonner l’homme singe jusqu’en 1970. De nombreuses planches à l’appui, l’exposition retrace l’évolution des traits d’un Tarzan auquel Burne Hogarth donne sa physionomie de référence dès 1937, annonçant quantité de superhéros à venir. Au détour d’une planche, signée Rex Maxon en 1947 celle-là, on découvre aussi la licence que s’autorisa le personnage, et surtout sa compagne Jane en certaines occasions. Le nu qu’elle affiche ici n’allait toutefois pas résister à la censure, pas plus d’ailleurs que la baignade en tenue d’Eve de Maureen O’Sullivan dans Tarzan and His Mate de Cedric Gibbons, treize ans plus tôt.

Plus que les romans de Burroughs, c’est en effet le septième art qui a valu à Tarzan son passeport pour la postérité, plus de quarante films à l’appui – une épopée retracée ici à l’aide d’affiches, photos d’exploitation et autres extraits. A tout seigneur de la jungle, tout honneur, c’est bien sûr Johnny Weissmuller qui s’impose, lui dont le cri, emblématique, retentit dans Tarzan, The Ape Man de W.S. Van Dyke en 1932, pour être ensuite répété dans douze épisodes de la série – les plus mémorables restant ceux dans lesquels il est associé à Maureen O’Sullivan.

L’exposition Tarzan ne se borne toutefois pas à ce couple mythique et présente les diverses incarnations du héros à l’écran, de Herman Brix (qui avait les faveurs de Burroughs) à Gene Pollar, le moins crédible de l’avis général, sans oublier Christophe Greystoke Lambert. S’y ajoute une spectaculaire galerie de Jane, jusqu’aux plus obscures – ainsi de la suggestive Burnu Acquanetta, héroïne de Tarzan & The Leopard Woman, Américaine d’indienne ascendance que Universal présenta comme « la volcanique vénézuélienne ».

Si le parcours relève encore divers adversaires que l’on n’attendait guère sous ces latitudes – Amazones, Vikings, Atlantes… -, c’est pour s’achever sur un combat moins anecdotique. Protecteur de la jungle contre ses ennemis de tout poil – chasseurs d’ivoire, trafiquants d’animaux et autres -, Tarzan instruit également un rapport respectueux à la Nature. De quoi en faire un écologiste avant l’heure, pouvant ainsi, d’un tour de liane, sauter allègrement d’une époque à l’autre et embrasser les enjeux fondamentaux de notre temps.

Tarzan! ou Rousseau chez les Waziri, jusqu’au 27/09. Musée du quai Branly, Paris.

www.quaibranly.fr

Texte Jean-François Pluijgers, à Paris.

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