Un autre récit du cinéma

Entamée en 2012, l’aventure So film a apporté un souffle de fraîcheur à la presse cinéma française, s’appuyant sur une formule que décrypte Axel Cadieux, son rédac chef adjoint.

« Sept ou huit. C’est le nombre de magazines de cinéma qui existent en France, dont certains sont très bons. Alors pourquoi un nouveau? Pourquoi SO FILM? Pour raconter le cinéma, tout simplement. » Ce principe cardinal, posé dès l’édito d’une première livraison qui affichait, en juin 2012, Ricky Gervais en une, So Film n’en a pas dérogé depuis, imposant un ton, un décalage aussi, qui en ont fait l’une des aventures les plus stimulantes du paysage éditorial français. Mieux que de longs discours, le sommaire du numéro 84 aligne, neuf ans plus tard, un dossier sur l’explosion des genres, des soeurs Wachowski à Euphoria, une enquête sur la chasse aux vaccins à Hollywood, une discussion entre les écrivains cinéphiles Nicolas Mathieu et Alice Zeniter, une rencontre avec Jean-Pierre Cargol 50 ans après L’Enfant sauvage de Truffaut, ou encore un entretien décoiffant avec Bill Duke. Ce qui suffit amplement à situer la singularité comme l’intérêt d’un magazine de cinéma ayant choisi de placer le récit journalistique au coeur de son propos. Mais aussi, tant qu’à faire, de prôner les vertus du pas de côté, de la diversité et de la primauté au reportage pour mieux s’affranchir de la dictature de l’actualité.

Privilégier le temps long

La condition d’une pérennité qui, euphémisme, ne coulait pas de source dans un secteur guère épargné par les turbulences? Rédacteur en chef adjoint d’un titre qu’il a rejoint en 2013, Axel Cadieux complète: « Derrière So Film, il y a un groupe, So Press, qui faisait déjà So Foot et qui a ensuite lancé Society. C’est un groupe qui fonctionne avec des permanents, mais aussi avec un vivier de pigistes ayant acquis un vrai savoir-faire dans la narration d’un récit. Si So Film a pu s’implanter, c’est au travers de ce savoir-faire dans la capacité à raconter des histoires et à avoir un pas de côté. La critique, on en fait un peu, elle est importante, mais elle ne fait pas lire le magazine. Si les gens ont acheté So Film au début et continuent à le faire, c’est vraiment pour des questions d’écriture, avec un souffle et une incarnation dans la manière de raconter le cinéma qui, moi, me manquaient peut-être un peu. Je n’avais pas forcément envie non plus qu’on me parle tout le temps d’actualité, et le magazine l’a très vite délaissée pour se permettre de parler du cinéma premier des années 10 ou 20, raconter un fait divers issu des années 30, se permettre un reportage au Venezuela ou au Viêtnam, il n’y avait pas vraiment de limite. Et ça a apporté un vent frais qui a pu expliquer sa pérennité. »

Si le titre a su imposer sa griffe, c’est aussi parce que la marque So Film carbure à l’évidence à l’envie et au plaisir, vertus hautement communicatives et ciment d’une ligne éditoriale allant de Xavier Dolan à l’empire HBO, de Mulholland Drive à Wakaliwood, la fabrique de séries Z en Ouganda. « On a un pool d’une cinquantaine de collaborateurs réguliers qui, pour certains sont là depuis les tout débuts, pour d’autres, depuis l’an dernier, quand on a fait un appel à pigistes -on attend toujours de nouvelles plumes. Ils connaissent un peu notre ADN et nous proposent plein d’idées. Si on me pitche un sujet en cinq lignes, et que je me dis « j’ai envie de lire la suite », j’ai su être excité par le truc, on m’a vendu un monde, une époque ou un personnage, quelque chose dont je me dis « il y a un truc spécial, je ne l’ai pas encore lu, et j’ai envie d’en savoir plus », ma réponse est « vas-y » ».

La crise sanitaire, So Film en a bien sûr ressenti l’impact, moins que d’autres toutefois, dès lors que se voulant déconnecté de la stricte actualité. « La fermeture des cinémas, on la regrette évidemment, et on milite activement comme on peut pour la réouverture des salles, mais elle n’a pas vraiment impacté la ligne éditoriale du magazine. » L’impossibilité de se déplacer bien, qui a pesé sur les reportages qui garnissent ses colonnes. Mais qui ont pu, pour certains, être remodelés -moins de rencontres, plus de Zoom. Comme l’a été le magazine, objet, en novembre dernier, d’un lifting financé notamment par un crowdfunding, pour se décliner désormais à rythme bimestriel sur 132 pages contre 100 précédemment. « Il y avait une envie de faire plus long et de prendre le temps de faire de beaux objets », conclut Axel Cadieux. Manière aussi, incidemment, de concilier l’agréable et le nécessaire, alors que l’équation économique de la presse papier se pose avec toujours plus d’acuité…

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