De plus en plus de films se disputent les écrans des salles de cinéma. Pourtant, certains manquent à l’appel. D’autres canaux de diffusion commencent heureusement à émerger…

En stigmatisant la non-sortie du nouveau film de Wim Wenders en France (il aurait pu ajouter son absence du catalogue des distributeurs belges…), Jaco Van Dormael met le doigt sur un grand paradoxe de plus en plus flagrant chez nous comme ailleurs (et peut-être un peu plus, même): le nombre de films distribués est de plus en plus important, mais certains présumés dignes du plus haut intérêt n’en restent pas moins sur le carreau… N’ayant pas vu The Palermo Shooting, il nous est impossible de dire si le non-achat du dernier opus de Wenders n’est pas dû, en partie au moins, à sa qualité décevante… Un coup de sonde chez des distributeurs potentiels révèle que la célébrité d’un réalisateur comme Wim le taciturne, jadis palmé d’or au Festival de Cannes pour Paris, Texas, peut, au cas où son film n’a pas de clair potentiel d’audience, se retourner contre lui. Un Wenders n’est tout d’abord pas vendu à bas prix. Et une fois acheté, on ne peut le sortir sur un nombre trop réduit de copies, ni sans sous-titrage dans les 2 langues nationales. Or, tirer des copies, faire sous-titrer un film, coûte cher. Par surcroît, il faut aussi assurer quelque publicité à pareille sortie, faire de la promo, inviter le cinéaste pour qu’il donne l’une ou l’autre interview, ou alors envoyer des journalistes l’interviewer à l’étranger. Encore des frais! Pour un retour plus qu’incertain. Alors que des films de réalisateurs inconnus peuvent être diffusés même sur une copie unique, sans sous-titres si c’est par exemple une £uvre francophone appelée à ne sortir que dans la partie du pays parlant notre langue… Ainsi s’explique le fait navrant que des films portant une signature illustre puissent rester inédits dans nos salles. Ce fut le cas de plusieurs Godard dans les années 80.

Si de plus en plus de films font l’objet d’achats par les distributeurs belges (eux-mêmes de plus en plus nombreux!), c’est dû en partie au phénomène des ventes groupées, ou par « paquet ». Au distributeur voulant le nouveau film d’un cinéaste en vue, le vendeur va dire que s’il le veut vraiment, il doit aussi prendre 2 autres films, signés Machin ou Tartempion, bref souvent des films que le distributeur n’aurait pas achetés… mais auxquels il faudra bien, suite au contrat signé, trouver une place sur un ou plusieurs écrans. La quantité de salles disponibles n’étant pas précisément à la hausse, le risque d’embouteillage est de plus en plus grand. Tout spécialement dans la catégorie des films à forte valeur créative ajoutée, ce qu’on appelait naguère « l’art et essai », et pour qui le parc d’écrans disponibles est bien moins conséquent que celui accueillant les productions commerciales…

Voici quelques mois, on a beaucoup – et un peu vite – parlé d’une toute proche digitalisation de l’ensemble du parc des salles de cinéma. En passant du mode de projection traditionnel (avec bobines de pellicule et projecteur 35mm à lampe) à la projection numérique à partir d’un disque dur, plus de frais de copie ou de transport de ces dernières! Et d’imaginer déjà des possibilités accrues pour la diffusion d’£uvres ne disposant pas de grands budgets pour ce faire. Oui mais voilà: le passage au numérique est cher, très cher même à la base, et les salles les plus commerciales, celles des gros multiplexes, sont les seules à pouvoir se l’offrir rapidement. Pour l’art et essai, on verra. Et les boîtes de pellicule n’ont pas fini de servir en ces lieux de cinéphilie où les £uvres les plus pointues trouvent encore le plus souvent leur seul débouché…

Nouvelles pistes

A la recherche d’alternatives concrètes, réalisateurs et producteurs fondent de légitimes espoirs dans quelques nouveaux « tuyaux », pour reprendre l’expression imagée de Jaco Van Dormael. Les producteurs belges s’étaient déjà fait eux-mêmes distributeurs, comme celui d’un Simon Konianski dont on se demande, sinon, s’il eût trouvé preneur. Certains d’entre eux se sont également engagés dans le projet UniversCiné Belgium, une plateforme de téléchargement en ligne permettant de louer des films de qualité (belges, notamment) selon le procédé de la VOD ou « video on demand ».

Une technique de diffusion qui se répand rapidement et ne pouvait laisser indifférents les acteurs de la scène indépendante. Vincent Lannoo, le réalisateur de Strass, a par exemple créé une grande première belge en proposant son nouveau long métrage, Vampires, en VOD sur Belgacom TV avant toute autre diffusion… UniversCiné Belgium, avec son site opérationnel www.universcine.be lancé depuis le 1er décembre dernier, s’inscrit dans un réseau de plateformes européennes soutenues par le programme Media et dont l’action préfigure l’avenir du cinéma d’art et essai le plus délicat à promouvoir via les « tuyaux » commerciaux traditionnels.

Plus que le DVD et des gadgets comme la diffusion de films sur… clé USB (comme la Paramount s’y était mise avec Transformers) ou sur consoles de jeu portable PSP (le format UMD a d’ailleurs été abandonné), c’est évidemment Internet qui détient les clés du futur. Cauchemar actuel de l’industrie en raison du téléchargement illégal, le Web pourrait bientôt la sauver, et aussi changer la face du cinéma de création. Jaco Van Dormael ne s’y trompe pas, lui qui affirme avec enthousiasme:  » Les choses les plus inventives se trouvent déjà là. Comme ces films tournés avec une petite caméra, montés sur un ordinateur et balancés directement sur le Net, par des gens qui de toutes façons n’ont pas le budget et ne sont pas connus. Ils filment différemment, racontent différemment. Ce qui a une influence sur le contenu, ce que l’on peut raconter, parce que cela ne passe pas par les mêmes tuyaux, on est beaucoup plus libre, on dit ce qu’on pense. Et sur la forme, sur le langage. Il y a des sites de courts métrages, comme par exemple www.futureshorts.com (abondamment relayé par YouTube, ndlr), où certains films ont été vus 5 millions de fois. Moi je n’ai jamais eu un court métrage qui avait eu 5 milllions de spectateurs. A l’époque où j’en faisais, quand il y en avait 2000, j’étais content. Puis ça passait à la RTB, le 28 juillet, à 23 h 30, ce qui permettait de toucher encore 200 personnes (rires). Sur Internet, ça circule… »

Texte Louis Danvers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content