Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Danse au bord du vide – Derrière le strass et les paillettes, la disco a constitué un mouvement culturel riche et complexe. Peter Shapiro a gratté le vernis. Captivant.

De Peter Shapiro. Éditions Allia. 430 pages.

Depuis quelques années, cela ne loupe pas. A peu près tous les six mois, le retour de la disco est annoncé. Comme si d’aucuns cherchaient à se racheter d’une des plus violentes lapidations de l’histoire de la musique: le caillassage en règle d’un genre, qui a eu le tort de faire danser la planète pendant une petite décennie. La disco, victime de son succès? En partie. Des boîtes peuplées d’éphèbes cocaïnés, la disco est ainsi passée aux coiffures afro et pattes d’éph’ des bals de campagne. En d’autres mots plus vulgaires, de musique de pédés, elle est devenue pour beaucoup une musique de beaufs… Difficile d’imaginer plus grand écart. En 2008, cela a donné, d’un côté, l’émouvant revival proposé par un groupe comme Hercules & the Love Affair; de l’autre, la gauloiserie Disco de Frank Dubosc… Et après tout, pourquoi pas? Puisque dans les deux cas, seule une règle prime: l’idée de plaisir, d’évasion et de divertissement…

C’est là qu’un livre comme Turn The Beat Around tombe à pic. Sous-titré L’histoire secrète de la disco, l’ouvrage démontre à la perfection en quoi le genre a bouleversé les choses, et comment tout cela fut beaucoup moins innocent et vain qu’on ne le dit. La somme du journaliste Peter Shapiro (déjà responsable éditorial de Modulations, sur la musique électronique) n’est pas la première à se pencher sur les véritables origines de la disco. Mais en quelque 400 pages, il en propose une synthèse qui n’est pas loin d’être définitive, aussi érudite que passionnante, se penchant aussi bien sur Chic que sur Cerrone, Tom Moulton (l’inventeur du maxi 45 tours) ou Donna Summer.

Pomme pourrie

La force de Turn The Beat Around est qu’il n’oublie pas d’adopter un point de vue. En gros, la disco est née dans le New York décadent des années 70, ville alors enfoncée dans un état de faillite virtuelle, abandonnée par des autorités aussi souvent dépassées que gangrénées par la corruption. Ambiance. Du coup, comme l’écrit Shapiro dès le départ,  » la disco pouvait bien briller de l’éclat du diamant, elle puait la merde« . L’hédonisme disco ne sera pas que bouée de sauvetage et fuite dans la danse. Il servira aussi de toile de fond aux revendications gays, et plus largement à une esthétique du mélange: musical, social, racial…

Partant des clubs gays de la Grosse Pomme, Shapiro brasse large, retraçant en filigrane l’histoire de la musique noire des seventies et plus généralement de la culture des clubs. Il n’oublie pas la contribution européenne (belge même, citant les Chakachas ou Two Man Sound), que ce soit à travers Giorgio Moroder ou l’eurodisco – ce qui lui vaut par exemple cette fulgurance:  » La vision cauchemardesque d’une Europe unifiée put enfin se concrétiser: les Allemands étaient à la batterie, les Belges à la basse, les Suédois chantaient, les Français et les Italiens se chargeaient de la production, tandis que tout le monde, Britanniques exceptés, écrivaient les paroles en anglais. » Plus intrigant encore, Shapiro inverse le cours de la boule à facettes pour remonter jusqu’aux zazous parisiens ou aux soirées clandestines des Swing Jugend allemandes des années 40. Soit les racines de la disco, comme on ne l’a en effet jamais vue. Définitivement captivant.

Laurent Hoebrechts

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