échappé de Gnarls Barkley, il cartonne cette fois en solo avec le jubilatoire Fuck You. Rencontre avec Cee Lo Green, alias The Lady Killer…

« Hello there, my name is… not important. «  Ainsi se présente Cee Lo Green, né Thomas DeCarlo Callaway (Atlanta, 1974), en intro de son nouvel album, The Lady Killer. Pas important? Peut-être pas le plus connu certes. Le bonhomme a pourtant déjà un fameux bagage derrière lui. Les amateurs de hip hop le suivent depuis Goodie Mob, sa première formation rap. Mais c’est surtout son association avec le producteur Danger Mouse, sous le nom de Gnarls Barkley, qui lui fera connaître la gloire. En 2006, le duo sort Crazy, tube interplanétaire. Le raz-de-marée est tel que les compères décideront même un moment de retirer le single du commerce afin d’éviter de dégoûter tout le monde…

Aujourd’hui, Cee Lo Green retrouve à nouveau les sommets des charts. Mais seul cette fois. Avec son gimmick aussi jouissif que libérateur, Fuck You cartonne un peu partout. L’album débarque aujourd’hui dans la foulée. The Lady Killer est déjà le 3e effort solo du bonhomme. Malgré un bon accueil de la critique, les 2 premiers sont passés relativement inaperçus. Ce sera plus compliqué avec celui-ci. Porté par la voix la plus tranchante de la soul actuelle, il propose un mélange jubilatoire de pop, de soul, et de r’n’b, conviant au passage la camarade Selah Sue ( Please), pour une grosse production taillée pour réussir. A cette occasion, Cee Lo Green a même freiné les élans nihilistes habituels de ses textes pour assumer son personnage de lover.

Pour en parler, on le rejoint à Amsterdam. Quelques jours plus tôt, le géant de la soul Solomon Burke est décédé en atterrissant à Schiphol. En voyant Cee Lo Green, verbe lent et caustique, carcasse imposante trônant au milieu d’une longue table sur laquelle est posé un cornet de frites, on se dit que la réincarnation n’est peut-être pas une hypothèse si fantasque que cela…

Le titre, The Lady Killer, est à la fois séduisant et angoissant.

Je voulais quelque chose d’élégant et de tranchant. Et voyons les choses en face: de nombreuses femmes aiment le danger, même un peu (sourire). Etre amoureux ou chercher l’amour sont tous les deux des voyages. Qui ne sont pas toujours sans risques…

Dans un morceau comme Bodies, c’est plus que du danger. Il y a meurtre!

( rires) Bien sûr, c’est une métaphore. Il est question d’être tué par un contact. Et ce contact, c’est la communication, la conversation. A la limite, pour être sûr que votre victime est à terre, vous pouvez utiliser la gentillesse et la douceur. Et espérer ainsi abattre les inhibitions. Il faut qu’elles le soient pour arriver à un certain degré d’intimité…

L’amour et la mort donc, eros et thanatos… A ce propos, croyez-vous, non pas à la vie après la mort, mais à l’amour après la rupture?

(long silence) Disons que je suis optimiste.

C’est un scoop…

En général, je le suis ( sourire). Je crois que ce n’est pas impossible, même si cela n’est pas évident. Du tout… J’ai souffert comme tout le monde. Mais j’ai besoin de croire, je ne veux pas accepter qu’il n’y ait plus rien, qu’il n’y ait plus d’espoir. Même si c’est compliqué. Ça l’est parce que ce n’est pas quelque chose dont vous avez le contrôle. Mais encore une fois, c’est ce qui définit l’amour: admirer et avoir assez confiance en quelqu’un que pour se permettre de perdre le contrôle. Le problème est que cela revient à donner à une seule personne énormément de pouvoir… Et le pouvoir est facilement corrompu dans les mains des êtres humains ( rires).

La voilà, la facette plus pessimiste…

Eh, eh, vous voyez ( sourires). Cela dit, j’ai essayé de l’évacuer le plus possible pour ce disque. Je voulais pour une fois que ce projet soit un produit tout neuf et brillant. En évacuant les tourments plus personnels. Le Lady Killer dont je parle est un professionnel. Un vrai, dévoué à son business. L’assassinat est mon boulot et c’est un plaisir. Le meurtre par contre est une émotion.

C’est-à-dire?

Celui qui commet un meurtre est mû par ses émotions, par une impulsion. Vous ne réfléchissez pas à ce que vous faites. Vous tirez au hasard. Cela pourrait être une manière de décrire l’album: je suis au milieu de la pièce et je tire dans le tas ( rires). Mais non, en fait, il s’agit juste d’une seule affaire. Un contrat: une femme, une balle, en plein c£ur.

Vos parents étaient tous les 2 très religieux. Vous-même avez appris à chanter à l’église. La religion est-elle encore importante? Notamment dans votre musique?

Non, je ne pense pas… Même s’il y a une dimension spirituelle dans ce que je fais. Il est question de passion et de compassion… Je crois qu’on est tous des temples, des maisons, des foyers… Des abris pour beaucoup de spiritualité, que cela passe par les sentiments de joie, de peine… Toutes ces émotions sont vivantes et ouvrent des fenêtres.

Souvent dans la musique soul, on retrouve cette tension entre la foi et le sexe. Chez Marvin Gaye, Al Green… Dans Please, vous chantez par exemple  » The man in the mirror, he won’t even look at me » (« L’homme dans le miroir n’osera même pas me regarder »)…

Oui, cette tension existe. Ce disque est censé être comme un film, une bande originale. Cette chanson en particulier est un moment de lucidité dans la vie de Lady Killer. Après toutes ces aventures, il en arrive au point où il veut vraiment essayer de voir s’il peut aimer quelqu’un. Mais il repense à toutes les personnes qu’il a blessées, toutes les femmes qu’il a « tuées » ( sourire). Il n’est pas sûr de mériter de tomber à nouveau amoureux et demande donc le pardon. La vie est comme ça, des sommets et des creux parfois très profonds…

The Lady Killer est complètement pop. Le hip hop dont vous êtes issu est-il encore quelque chose qui vous touche?

Cela reste mon point d’ancrage. J’ai une dette énorme envers cette culture et cette communauté. Ma famille est toujours là, à vivre et survivre. Et mourir à cause d’elle. Et pour elle. Je ne veux pas que tous ces sacrifices, ces efforts, aient été consentis en vain…

Aujourd’hui, on a parfois l’impression que le « message » est à nouveau plus dans la soul que dans le rap…

Vous avez raison, c’est très étrange. Je n’aime pas ce que le rap est devenu. Il est tellement différent de celui que j’ai quitté. Mais s’en éloigner ne veut pas dire que je m’en fous. Ce n’est pas le cas. J’ai envie d’encore aller y faire un tour, et voir ce qu’il y a moyen de faire pour rétablir un peu la balance…

Cee Lo Green, The Lady Killer, Warner.

Rencontre Laurent Hoebrechts, à Amsterdam

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