Fidèle à ses racines exotiques, Vampire Weekend sort Contra, un deuxième album entraînant et métissé sang pour sang pop. Entretien avec deux vampires.

Planquez les pieux, les crucifix et les gousses d’ail. Les quatre gendres idéaux de Vampire Weekend, toujours aussi propres sur eux, s’en reviennent avec un deuxième album ensoleillé influencé en vrac par le baile funk brésilien, le reggaeton, les pianos congolais, Bollywood, Beethoven et les Beastie Boys… A quoi a ressemblé 2009 pour la révélation pop indé de 2008? Retour avec son bassiste Chris Baio et son chanteur/guitariste Ezra Koenig, fils spirituels de Paul Simon, sur une année sacrément mouvementée et la genèse d’un disque attendu de pied ferme. Des fourmis dans les jambes.

Janvier « Nous n’avons pris que deux semaines pour souffler entre nos dernières dates de 2008 et le moment où nous nous sommes mis à plancher sur notre deuxième album début 2009. Le concert et l’enregistrement représentent deux activités fondamentalement différentes. On va peut-être vous sembler cinglés mais le studio est notre break de la tournée. Et la tournée notre break du studio. Pour nous, donner vie à ce disque s’apparenta quasiment à des vacances. Nous étions à la maison. Nous écrivions des chansons. Ça fait du bien de s’arrêter quelque part, a fortiori chez soi, après avoir vécu pendant 18 mois dans sa valise. Nous avons commencé à bosser le 5 janvier dans un local de répétition à Greenpoint. Au début, nous pensions y trimer tous les jours de 9 heures du matin à 5 heures de l’après-midi mais nous avons rapidement réalisé que nous avions besoin de respiration. De moments où chacun pouvait laisser germer les idées dans son intimité. Très rapidement, nous avions 5 chansons dont nous pouvions enregistrer les batteries. C’est généralement comme ça que nous commençons. Une fois que tu as les percussions, tu n’as plus qu’à construire dessus en studio. »

février « Début du mois, nous nous sommes mis au boulot dans les studios Avatar. Une ancienne centrale électrique new-yorkaise ( où ont entre autres bossé les Kinks, Iggy Pop, David Bowie, Serge Gainsbourg, Neil Young…, ndlr). Nous pensions enregistrer à Los Angeles. Nous voulions que ce disque soit notre album californien. La Californie est un endroit magnifique, diversifié, hétéroclite et étrange qu’on voyait bien nous inspirer. Je pense que ce fut le cas même si nous sommes restés sur la côte Est dans un environnement qui nous était familier. Nous avons laissé libre cours à notre imagination… La Californie est une espèce de microcosme de l’Amérique. A l’étranger, elle représente la belle vie. Une espèce d’idéal. Or elle se caractérise aussi par une extrême pauvreté. On ne peut définitivement la cerner, la capturer et c’est ce qui la rend aussi fascinante. La musique californienne, les big bands comme Operation Ivy et The Descendents ont également alimenté de nombreuses conversations. Nous ne voulions pas sonner comme ces groupes mais avec le recul, nous avons remarqué combien ils ont pu se révéler importants. Nous adorons l’écriture poétique d’un Bob Dylan et d’un Leonard Cohen. Mais nous pouvons aussi admirer celle d’un Brandon Flowers. Il est dévolu au culte de la pop music. Il veut écrire des chansons qui touchent les gens. Nous ne sommes pas fans des Killers mais leurs morceaux doivent beaucoup à sa plume. »

mars « Après avoir travaillé sur les arrangements de nos 5 premières chansons, nous sommes partis à Mexico pour quelques dates. Entre deux concerts, nous y avons enregistré Cousins. Sans doute la chanson la plus rock de notre album. Et peut-être même tout simplement de Vampire Weekend. C’était dans le studio du groupe Molotov. Dans le quartier de Coyoacan. Pas loin de la maison de Frida Kahlo. A Brook-lyn, nous avions l’habitude de bosser chez un ami au milieu de nulle part. Là, on était à Mexico City. Dans une maison avec une petite cour et une table de ping pong. Ça nous a fait le plus grand bien après avoir passé deux mois et demi dans la rudesse de l’hiver new-yorkais. La musique mexicaine est très diversifiée mais la cumbia, une espèce de folk traditionnel d’Amérique du sud basé sur un rythme très simple, nous est tout particulièrement tombée dans l’oreille. Quand tu entends la basse, même si elle est acoustique, tu comprends toutes les connexions avec le dance hall et l’électronique. Nous n’avons pas de chanson de cumbia sur notre album mais elle nous a permis d’envisager autrement le pouvoir de la musique et plus particulièrement du rythme. »

avril/mai Ezra Koenig: « J’habitais avec ma petite amie en début d’année. Puis, j’ai loué un appartement avec un piano à Dumbo pour avoir mon petit coin perso. Nous avions besoin de nouvelles chansons et avions convenu que ce disque serait fort éclaté et diversifié. Nous voulions appréhender nos morceaux autrement. Non pas dans la salle de répétition mais dans le studio d’enregistrement. Nous nous sommes donc mis à bosser sur des chansons comme Taxi Cab qui n’a pas de vraies percussions même si la batterie et le rythme sont prépondérants. Malgré des instrumentations différentes, nous nous sommes mis à imbriquer ces morceaux de manière à ce qu’ils appartiennent à un seul et même univers. C’est excitant de penser en termes d’albums à l’ère du single. C’est comme construire une set list pour un concert. »

juin « Le plus compliqué avec ce deuxième album fut de le terminer. Pendant deux mois, nous n’avons pas pris le moindre jour de repos. Nous avions les idées, les chansons mais nous avons dû donner beaucoup de notre personne. Ce n’est pas drôle d’enregistrer 10 fois de suite la même chose. Souvent, tu n’arrives pas à achever un morceau avant d’envisager la production et les arrangements. Un bon texte et une bonne mélodie ne sont pas gages d’une bonne chanson… J’ai eu l’idée de California English alors que j’étais à Londres jetlaggé sur le coup de 5 heures du matin. Nous avons arrangé le morceau avant d’en avoir toutes les paroles. »

juillet « Nous avons été invités à assurer la première partie de Blur à Hyde Park pour son grand come-back et Rostam (Batmanglij, le claviériste et producteur du groupe) a profité du mois de juillet pour sortir un album avec Wes Miles le chanteur de Ra Ra Riot sous le nom de Discovery. »

août « Nous avions programmé des dates à la fin de l’été pour qu’elles coïncident avec la sortie de l’album. Elle a été postposée mais nous ne pouvions décemment annuler. Nous avions signé des contrats et nous nous sommes surtout dits que ce ne serait pas sympa ni très classe de tout laisser tomber. Même quand tu as une bonne raison de ne pas jouer, tu blesses et déçois ceux qui se sont procurés un ticket. On peut se dire qu’on tourne depuis longtemps. Que tous les gens qui voulaient nous voir en ont eu l’occasion. Or, ce n’est pas du tout le cas. Nous avons encore joué dans des endroits où nous n’avions jamais mis les pieds. Nous n’étions venus que deux fois en Belgique. Nous sommes convaincus que certains nous ont découverts au Pukkelpop. Même si ça nous a fait un peu peur de prendre la route avant que l’album soit définitivement terminé. »

septembre « Au début, nous voulions sortir le disque en septembre. Nous aurions sans doute pu. Il aurait sonné plus ou moins de la même manière. Mais nous aurions dû précipiter les choses. En décidant de repousser son arrivée dans les bacs à janvier, nous avons pu le peaufiner. Préparer la tournée. Jouer dans de petites salles de Californie. Une fois que la machine est vraiment lancée, vous n’avez plus vraiment le temps d’appréhender calmement les événements. Avant de partir pour les festivals, je dirais que 95 % de l’album avait été enregistré. Tout ce que nous avons fait ensuite, c’était le mastering et l’édition. »

octobre/novembre « En octobre, nous avons donné un titre, Horchata, en téléchargement gratuit sur notre site Internet et en novembre, sorti Cousins, notre premier single. Nous avons profité de l’automne pour courir le monde, assurer la promotion du disque, donner des interviews. Nous avons aussi joué à Montréal et Toronto dans un petit bar de 400 personnes. Le show était sold out en un temps record. Ce qui signifie grosso modo que seuls les auditeurs les plus excités par votre musique sont à l’intérieur. Ce sont les meilleures personnes sur lesquelles tester des morceaux. Evidemment, le lendemain, ils sont sur Internet. On se console en se disant que les caméras de gsm sont devenues haute définition et que le son s’est vachement amélioré. »

décembre Ezra Koenig: « La fin d’année, c’est l’heure des bilans. Je ne pense pas qu’il existe de mauvais crus dans l’histoire de la musique… En 2009, j’ai adoré le nouvel album de Dirty Projectors. Ce sont des vieux amis à nous. Dave (Longstreth) écrit toujours tout seul mais j’ai joué dans son groupe. J’ai même enregistré un EP avec lui. Je m’occupais du clavier et Rostam de la flûte. Je suis ses aventures depuis 7 ans maintenant. Ça me fait bizarre de voir qu’il perce seulement aujourd’hui après avoir enregistré tant de bons disques mais c’est chouette de réaliser que tes potes reçoivent enfin l’attention qu’ils méritent. C’est drôle de repenser au fait qu’il y a quelques années on tournait ensemble dans un petit van merdique et qu’on dormait souvent par terre. Bitte Orca est l’album le mieux produit de l’année. Dave a atteint de nouveaux sommets. C’est une source d’inspiration. De motivation. Comment se fait-il que Vampire Weekend ait rencontré le succès dès son premier disque? Nos morceaux sont plutôt immédiats et possèdent une structure relativement basique. Nous sommes tellement guidés par la pop que les gens commencent sans doute par entendre la simplicité avant de percevoir les subtilités, les trucs plus compliqués. Vous pouvez faire écouter notre musique à votre grand-mère sans qu’elle se sente agressée. Et malgré tout, je pense que nos chansons sont fraîches et modernes. Certains artistes sont difficiles à comprendre pour nos grands-parents. Avec les Dirty Projectors ou Animal collective, ils sont frappés par la bizarrerie, l’étrangeté avant de capter l’évidence mélodique. Quand tu écoutes Merriweather Post Pavilion, certains morceaux reposent sur une simple corde. Un côté folk presque dylanien. Mais certains ne l’entendront jamais. Ils trouvent ça bruyant. Or, je ne pense pas que la musique d’Animal Collective soit plus expérimentale que la nôtre. »

Rencontre Julien Broquet

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