Eliane Dubois dirige la plus importante société de distribution indépendante en Belgique: Cinéart. Son avis sur les problèmes du moment pose un diagnostic parfois sévère…

Cette année encore, Cinéart distribuera la Palme d’or du Festival de Cannes (1). Une bonne habitude qui a renforcé la position de la société d’Eliane Dubois en tête des firmes indépendantes sur la place de Bruxelles. L’avis de cette passionnée de films d’auteur, venue au cinéma par l’engagement politique et toujours prodigue de coups de c£ur cinéphiles, éclaire avec lucidité l’état et les enjeux de la distribution mais aussi de l’exploitation dans notre pays.  » Nous autres, distributeurs indépendants, nous avons tous pour but de proposer les meilleurs films, en privilégiant ceux qui peuvent cumuler qualité artistique et potentiel public, explique-t-elle , nous sommes donc tous concurrents sur les mêmes films. Ceux-ci sont en conséquence vendus très cher, et il faut très souvent en acheter 2 autres pour avoir celui qu’on veut (2) . Or, nous avons besoin d’un Slumdog Millionaire tous les 2 ans, d’un Brokeback Mountain ou d’un Million Dollar Baby tous les 10 ans, pour pouvoir faire ce que nous voulons, c’est-à-dire mettre sur le marché des premiers films, des films du monde entier, en fait des films qui ne nous font pas vivre…  »

Contexte difficile

Le nombre de films arrivant sur le marché belge est assurément devenu « problématique », et Dubois avoue sa préoccupation devant cet  » encombrement phénoménal« , d’autant qu’il se produit à un moment où la fréquentation stagne ou même baisse.  » Le spectateur potentiel délaisse un peu la sortie cinéma traditionnelle pour aller vers l’événementiel, notamment les très nombreux festivals qui s’enchaînent et se font un public qui ne fréquente pas plus, pour autant, le circuit de programmation classique. » Dans un contexte économique par ailleurs incertain,  » où le cinéma est perçu comme cher alors qu’on pense avoir la même chose chez soi gratuitement ou presque par la télévision, la sortie de 8 ou 9 films par semaine force le distributeur à dépenser plus, à faire preuve de plus d’imagination, pour que ce soit son ou ses films qui attirent le spectateur« , déclare une distributrice d’autant plus inquiète que, par ailleurs, le nombre de salles diminue.  » On perd même des villes entières, comme Louvain-La-Neuve, et des petits complexes trop peu rentables se transforment en clubs de fitness… « , déplore-t-elle. Et de stigmatiser encore le manque de « bons » écrans, car  » toutes les salles n’assurent pas le minimum technique ou d’accueil pour présenter les films de manière simplement correcte.  »

Comment résoudre le problème, alors? Comment « freiner »?  » Ce ne sont pas les distributeurs qui vont le faire, conclut Eliane Dubois , car ce que nous refuserions chez nous, un autre distributeur le prendra, et la concurrence entre nous rend un vrai dialogue difficile. Les exploitants? Confrontés à un choix énorme, ils prennent ce qu’ils aiment et se foutent du reste. Il y a aujourd’hui de plus en plus de films, de bons films, dont personne ne veut! » Le digital et la 3D se pointant avec des coûts accessibles aux grands groupes (Kinepolis, UGC) mais des investissements en matériel fort élevés pour les salles indépendantes. Une autre source de déstabilisation pour un marché devenu déjà fragile, et que menacent encore le téléchargement et une VOD (3) qui privent le grand écran de spectateurs potentiels… sans assurer encore aux distributeurs la compensation financière qu’ils pourraient en attendre.

(1) Le ruban blanc de Michael Haneke, voir notre dossier en page 19.

(2) La vente par « paquets », en effet de plus en plus souvent pratiquée par les vendeurs internationaux.

(3) Vidéo à la demande.

Texte Louis Danvers

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