Trompe-la-mort

Qu’est-ce qu’une histoire? Bonne question. La réponse la plus plate qu’on pourrait suggérer serait peut-être: ce qui endort les enfants. Mais Lionel Ruffel, qui enseigne la littérature à l’université de Paris 8, en a une autre. Pour lui, les histoires ne sont pas ce qui endort, mais ce qui réveille. Elles sont ce qui permet, comme le fait chaque soir Shéhérazade face au cruel sultan Shahryar dans Les Mille et Une Nuits, de repousser toujours plus loin la mort au moment où celle-ci se dresse. Face à la fatalité d’une vie soumise à une violence devenue de plus en plus quotidienne, de plus en plus systémique, les histoires permettent de se souvenir que leurs leçons seront ce qui reste une fois que tous les savoirs auront disparus. Plongeant dans les pages du Décaméron autant que dans celles des manifestes du Comité Invisible, Ruffel propose donc une sorte d’élégie théorique: une défense et illustration de l’histoire par temps de crise -un appel en faveur d’une conception trompe-la-mort de la littérature. Écrit dans le refus délibéré de jouer au savant (ce qu’il est pourtant), ancré dans une longue pratique de l’expérimentation littéraire hors les murs, Trompe-la-mort (puisque c’est son titre) voudrait faire croire que, loin de n’être qu’un supplément d’âmes pour individus qui ont déjà tout, la littérature et ses histoires sont ce qui reste quand on n’a plus rien. Dans le mille.

De Lionel Ruffel, éditions Verdier, 128 pages.

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