Trio des Ardents

© Hermance Triay

Plongeant dans la grande époque des Deux Magots, du Flore, de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir, et des discours monstres, le nouveau roman de Grainville tourbillonne dans le sillage de l’artiste peintre Isabel Nicholas. Amoureuse ardente, l’Anglaise fait tourner les têtes. Aujourd’hui épouse de l’espion Delmer, demain Madame Lambert, puis Rawsthorne, la muse subjugue son époque et aimante le Tout-Paris. Epstein sculpte son visage et son buste, Derain la peint ruisselante de gaieté, Bataille et Balthus deviennent ses amants, Picasso s’y casse le nez. “Elle adore les obsédés, les fous, les femmes, les danseuses, (…) tous les carambolages de la vie.” Fin des années 30, c’est Alberto Giacometti qui croise sa route. Ces deux-là se percutent, la rencontre est électrique. Entre ubiquité volage et libertinage existentiel, elle devient son modèle. Mais déjà surgit Francis Bacon, créateur homosexuel le plus provocant de son temps. Elle sera -paraît-il- l’unique femme avec qui il fera l’amour. Portraits au couteau de ses protagonistes et verbe haut, Grainville ne lâche plus d’une semelle son trio charnel. Drôle de guerre, bombardements du Blitz, défaite de la France coloniale, guerre du Viêtnam, les années défilent au pas de charge. Après Picasso et Nicolas de Staël (Les Yeux de Milos), l’académicien croque avec gourmandise ses nouveaux flamboyants. Caracolant dans l’Histoire de l’art, Grainville jubile. De gloutonneries en ravissements délicats, ce roman luxuriant s’étourdit dans une étude des corps, la création dévorante, les contorsions du désir. Jouir pour souffrir le moins possible, un savoureux programme.

© National

De Patrick Grainville, éditions du Seuil, 352 pages.

****

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content