Adapté de La stratégie du choc de Naomi Klein, le film éponyme de Michael Winterbottom et Mat Whitecross est un réquisitoire sans merci (et parfois sans nuance) contre le « capitalisme du désastre ». Rencontre.

On ne pouvait sans doute rêver sujet plus dans l’air du temps que The S hock Doctrine, documentaire soufflant de Michael Winterbottom et Mat Whitecross, inspiré du best-seller éponyme de Naomi Klein ( No Logo). Auteur auparavant de The Road to Guantanamo, le duo de réalisateurs britanniques y prend la mesure du « capitalisme du désastre ». Et récuse la théorie couramment admise voulant que économie de marché et démocratie aillent généralement de pair, pour affirmer au contraire, que le capitalisme se nourrit de situations de crise aiguë (qu’il a, au besoin, provoquées) pour être imposé à des populations en état de choc. De cette thèse, le film ( critique en page 33) fait la démonstration éloquente à l’aide d’un montage d’archives saisissantes, qui revisitent l’histoire politique et économique des 30 dernières années. Un procès à charge exclusivement, dont les 2 cinéastes se faisaient les ambassadeurs zélés lors de la Berlinale 2009.

Comment avez-vous choisi les sections du livre sur lesquelles vous concentrer?

Il nous a fallu établir ce qui convenait le mieux au médium cinématographique. Au départ, nous avions intégré d’autres parties. Il y a, par exemple, eu pendant longtemps un passage important relatif à la Pologne. Mais petit à petit, la structure s’est établie d’elle-même, depuis les théories de Milton Friedman jusqu’à leur diffusion à l’échelon universitaire, d’abord, et sur l’échiquier international ensuite, en traçant la ligne la plus directe qui soit du Chili à l’Irak. C’était la colonne vertébrale, à laquelle sont venus s’ajouter d’autres éléments.

Pourquoi avoir recouru essentiellement à du matériel d’archives, plutôt qu’à des interviews directes?

Les archives permettaient de donner une dimension épique au film. Quand on voit certaines images du coup d’Etat de Pinochet, au Chili, par exemple, c’est à la fois stupéfiant et dramatique, on est amené à réfléchir tout en ressentant ce que sont ces moments de crise. Montrer des processus économiques est plus malaisé, il est plus simple de représenter les guerres ou coups d’Etat à l’aide d’archives. Cette dimension du Choc est beaucoup plus facile à appréhender en images que l’aspect économique, même si nous avons veillé à ne point occulter ce dernier.

Naomi Klein a-t-elle été consultée au sujet de votre adaptation?

Oui, Naomi et les producteurs ont discuté du projet. Nous voulions éviter un montage poussiéreux qui se serait rapidement révélé ennuyeux, d’où la narration. Elle a exprimé quelques réserves quant à l’absence de témoignages d’experts. Mais il ne s’agissait pas tant de faire un film sur son livre, que d’essayer d’en réaliser un qui exprime les mêmes idées.

On a notamment reproché à Naomi Klein de simplifier les choses à l’excès, en associant économie de marché et politiques anti-démocratiques…

On nous dit toujours qu’économie de marché et démocratie vont de pair, c’est une connexion considérée comme acquise par beaucoup de monde. Ce que montre Naomi, exemples à l’appui, c’est que c’est bien souvent l’inverse qui se produit: l’économie de marché est imposée au prix d’une crise. Il est parfois utile de questionner l’idéologie dominante -c’est ce que nous dit son livre, qui nous suggère d’envisager les choses d’un point de vue différent. Bien sûr, c’est un discours idéologique. Mais celui de Milton Friedman ne l’était pas moins. Simplement, il est à ce point ancré dans les esprits désormais qu’on en vient à l’oublier. En Grande-Bretagne, par exemple, travaillistes et conservateurs sont d’accord pour considérer l’Etat comme néfaste et le privé comme un bienfait. Il faut penser aux conséquences, et se rappeler que l’économie de marché n’est pas une situation allant de soi.

Naomi Klein est une activiste. Vous considérez-vous comme tels?

Etre un activiste est une activité à plein temps, c’est ce que fait Naomi en menant campagne et en essayant d’inciter les gens à changer le monde. Quand nous avons tourné The Road to Guantanamo, le film a ensuite été utilisé par des associations comme Amnesty à des fins de sensibilisation, et c’est fort bien. S’il en va de même avec The Shock Doctrine, et que des gens se servent du film pour diffuser ce message et susciter la discussion et le débat, nous en serons ravis. Chacun peut, à sa façon, avoir un impact: le fait qu’un film ne soit pas amené à changer le monde n’est pas une raison suffisante pour ne pas le tourner. On le fait parce qu’on estime que c’est important, et en espérant qu’un maximum de gens vont le regarder… l

Entretien Jean-François Pluijgers, à Berlin

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