Vingt ans aprèsLes Liaisons dangereuses, Michelle Pfeiffer retrouve Stephen Frears pour Chéri, où elle campe, avec finesse, une courtisane que ses charmes, intacts, ne préservent pas du temps qui passe…

« L orsqu’on fait un film sur une femme d’une grande beauté, engager une femme magnifique facilite les choses. » Stephen Frears, qui affectionne le laconisme autant qu’il apprécie, de toute évidence, La Palice, n’aurait pu mieux dire: incarnant, dans Chéri, une ex-courtisane aux charmes intacts, Michelle Pfeiffer rayonne d’une beauté qu’elle a naturelle et charismatique. Non sans, et c’est là son mérite de grande comédienne, laisser filtrer une évidente vulnérabilité – celle qui l’étreint alors que sa liaison avec un jeune homme, le Chéri qui donne son titre au film, la confronte, en écho indirect, aux affres du temps qui passe.

Le temps, justement, semble n’avoir pas de prise sur elle, lorsqu’on la rencontre dans un hôtel berlinois. Un foulard négligemment jeté sur les épaules relevant un chemisier anthracite, l’élégance, bien réelle, est peu ostentatoire. Le propos traduit, lui, une sérénité épanouie, à l’heure d’évoquer ses retrouvailles avec Stephen Frears – son réalisateur des Liaisons dangereuses; c’était il y a vingt ans déjà. « Retravailler avec Stephen et Christopher Hampton était vraiment stimulant. Stephen n’a pas vraiment changé, pour tout dire, il est même encore un peu plus bougon qu’à l’époque. L’observer est vraiment intéressant: il se promène sur le plateau en grommelant, à la façon de l’inspecteur Columbo. Mais sous ses airs un peu égarés, rien ne lui échappe: il sait pertinemment ce qui se passe à chaque instant. »

En avance sur son époque

A la perspective de ces retrouvailles s’ajoutera bientôt celle d’incarner, en Léa de Lonval, un personnage d’une rare épaisseur. « Ce que j’apprécie en elle, et qui est présent aussi bien dans le roman de Colette que dans le scénario de Christopher, c’est qu’elle ne correspond aucunement à une vision stéréotypée des courtisanes: Léa de Lonval est une femme pétrie de contradictions, mais aussi, à bien des égards, en avance sur son époque. Elle était farouchement indépendante, comme peu de femmes pouvaient l’être alors – mais cette indépendance avait un prix. Je pense qu’il y a beaucoup de Colette en Léa. L’une des difficultés du film aura été de savoir, dans les contraintes d’un film d’époque, avec les manières d’alors et les émotions sous-jacentes, de déterminer ce qu’il convenait de montrer, ou non… »

Tâche dont Stephen Frears s’est acquitté, comme de coutume, avec maestria, enracinant son propos dans son temps – celui d’une Belle Epoque au bord de l’implosion -, mais aussi dans une perspective intemporelle. Si bien que ce Chéri trouve, aujourd’hui, des résonances toutes particulières. « Les thèmes abordés sont modernes, universels et intemporels, approuve l’actrice. La question du vieillissement est une obsession dans notre culture – en Amérique et ailleurs. Le prix accordé à la jeunesse est un sujet contemporain, comme le tabou que constituent les différences d’âge – certainement lorsqu’une femme est plus âgée que son partenaire masculin. »

La vanité en veilleuse

Vieillir, voilà bien en effet un terme peu en vogue à Hollywood. Encore que le constat appelle, dans le chef de Michelle Pfeiffer, un double bémol. Le premier, de principe: « On dit particulièrement à Hollywood à tout propos. Mais ce n’est particulier à Hollywood que parce que les médias en font leurs choux gras. » La seconde réserve serait, elle, factuelle, l’inoubliable Catwoman refusant d’adhérer au discours voulant que Hollywood se transformerait en champ d’épines pour les actrices arrivées à maturité. « Le nombre de rôles diminue, mais ils sont aussi plus intéressants. J’ai pu le vérifier depuis que j’ai mis fin au hiatus que j’avais imposé à ma carrière. »

Quant au fait d’avoir dû mettre sa vanité en veilleuse afin de jouer une femme réalisant vieillir? « Ce n’est pas la première fois que j’ai dû surmonter ma vanité pour accompagner un personnage: voyez Velma, dans Hairspray . Ou Stardust , où j’aurais difficilement pu être plus laide… S’agissant de vieillir, je pense que l’idée que l’on s’en fait est bien pire que le fait de vieillir – passer le cap de la cinquantaine a eu un effet extrêmement libérateur sur moi. C’est là que l’on commence à voir le verre à moitié plein, à apprécier les dons dont l’on dispose, la santé, les proches qui sont encore là, le fait d’être soi-même toujours là. C’est un soulagement. »

Michelle Pfeiffer baignant dans la félicité, et Chéri pétillant par endroits tel un champagne, on la quitte sur sa plus belle histoire de bulles, puisée dans ses souvenirs: « Le processus d’auditions pour Scarface a duré tellement longtemps qu’à la fin, je ne voulais plus en entendre parler, ni voir ces gens. Et puis, j’ai eu le rôle – je l’ai appris alors que je partais en voyage. L’amie qui me conduisait à l’aéroport est arrivée avec une bouteille de champagne et deux mugs, et nous avons sabré le champagne dans le parking de l’aéroport de Los Angeles… » Pas très glamour, sans doute, mais incontestablement délicieux… l

Entretien Jean-François Pluijgers, à Berlin

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