HÉRITIER DE NEIL YOUNG ET DYLAN, LE TROUBADOUR KURT VILE RACONTE SON NOUVEL ALBUM. DISQUE ITINÉRANT, NOCTURNE ET INTIME. VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT

Se faire écrire sa bio par Kim Gordon. Plus qu’un honneur, pour certains, ce serait l’accomplissement d’une vie. Pour Kurt Vile, rire Beavis and Butt-Head et longue chevelure de métalleux, c’en est presque devenu normal. En sept ans et six disques, l’ancien manutentionnaire de Philadelphie, fils d’un conducteur de train, est devenu l’un des songwriters et guitaristes les plus intéressants de sa génération. S’inscrivant sans prévenir dans l’arbre généalogique des Bob Dylan, Neil Young et autre Bruce Springsteen, héros musicaux de cette grande et parfois belle Amérique. « J’ai été surpris de voir ô combien c’était passionné. Kim est fan depuis Childish Prodigy. Elle écoute comme moi les choses de manière obsessionnelle. Et là, il se fait que c’est ma musique. On a partagé quelques affiches. Puis je bosse beaucoup au studio de J Mascis (Dinosaur Jr., NDLR) et elle habite juste à côté. Je ne l’ai pas vue beaucoup ces derniers temps mais elle reste cette amie maternante… »

Au Dominican, ancien monastère du XVe siècle transformé en hôtel de luxe bruxellois, Kurt Vile, coolitude nonchalante incarnée, donne ses interviews affalé dans un fauteuil comme pour corroborer ses déclarations d’intention. La volonté d’écrire des chansons tristes franches et vulnérables sur son divan qui a présidé à la confection de B’lieve I’m Goin Down« Je voulais donner cette impression. Dégager cette vibe pas tant lo-fi que de proximité. C’est une image et en même temps, je n’allais pas bosser sur une chaise en bois comme un pigeon… On est bien mieux dans un canapé (rires). »

Plus qu’un disque de salon, B’lieve I’m Goin Down… est un album nocturne. Il en a la sérénité, la beauté sombre et les charmes apaisés. Kurt le présente comme une suite du The Nightfly cher à Donald Fagen. Il a été majoritairement composé une fois le soleil couché. « J’aime la nuit depuis que je suis tout gamin. C’est un moment où je me suis toujours senti plus créatif. Ça doit venir du fait que je suis issu d’une famille nombreuse. On était quand même dix enfants à la maison. La nuit était synonyme de calme. Il m’y était moins compliqué de m’isoler puisque tout le monde dormait. Il y a aussi cette électricité et ces énergies cosmiques que personne n’utilise puisque tout le monde est au lit… (rires)« 

Vu que Vile aujourd’hui est marié, qu’il a deux filles de trois et cinq ans scolarisées à la maison, la nuit est désormais le moment où personne ne l’attend. « Je trouve qu’il faut toujours un peu d’obscurité avant de s’ajuster. Pour se laisser envahir par la magie parfois un peu effrayante mais inspirante de la nuit. Je n’ai jamais été du matin. Tu imagines comme j’avais du mal quand je devais me lever à cinq heures et demie pour aller bosser dans un entrepôt. Maintenant que j’ai pu sortir de ce monde, la dernière chose que j’ai envie de faire, c’est d’aller me coucher tôt. »

Ranch de la lune…

Parlez-lui de ses albums nocturnes préférés et Kurt Vile s’emballera sur Tonight’s the Night, dont le titre annonce la couleur, et la plupart des Neil Young… « On the Beach et Zuma ont sans doute été enregistrés en journée mais les sessions n’ont pu que se prolonger dans la nuit. Je pense au jazz aussi. John Coltrane et tous les autres (Vile avoue avoir récemment beaucoup écouté sa musique comme celle d’Alice Coltrane et Pharoah Sanders, NDLR). Tous ces musiciens qui avaient un côté spirituel mais étaient tout de même sous héroïne… Ils jouaient le soir, vivaient la nuit, dormaient le jour. Et attendaient qu’il fasse noir pour que tout redevienne normal. »

Intime et nocturne, B’lieve I’m Goin Down… est aussi un disque itinérant. Un album de troubadour. Vile a planché dessus à Philly, bossé dans le studio de Kyle Spence, son batteur, à Athens, terminé avec Rob Schnapf (le Mellow Gold de Beck, le Either/Or d’Elliott Smith) à Los Angeles et mixé dans le Connecticut. Il est également surtout allé se perdre dans le désert de Joshua Tree et le fameux Rancho De La Luna…

« On avait déjà envisagé d’y enregistrer. Puis Stella de Warpaint, qui joue de la batterie sur l’album, m’a reparlé de cet endroit et filé le numéro de Dave Catching qui gère le studio. Je lui ai dit que j’avais failli bosser là-bas avec Tinariwen mais que c’était tombé à l’eau. Il m’a répondu: « Non non, ça a toujours lieu. Juste une dizaine de jours avant les dates que je viens de t’annoncer disponibles. » Je me suis dit: « OK, je dois foncer. J’y vais un petit peu plus tôt pour jouer avec eux et puis j’enregistre. »« 

Tinariwen. Son blues des sables… Vile craque littéralement pour ce psych rock hypnotique et spirituel. I’m an Outlaw a d’ailleurs en lui cette vibe malienne. « Merci… Je voulais du piano, du banjo, de la guitare acoustique et de l’électrique sur ce disque. Et ils s’y retrouvent (comme un farfisa, des harpes, des cuivres, NDLR). Le batteur de Steve Gunn aux Etats-Unis, Nathan Bowles, est un formidable joueur de banjo. C’est grâce à lui que j’ai eu le mien. Le mec qui l’a fabriqué est très demandé. Tu as des délais d’attente de cinq ans. Mais comme il connaît bien Nathan, il a accepté de me vendre l’un des siens. »

Entre le succès de ses anciens complices, grandissant de Gunn et planétaire des War on Drugs, et la protection de son mur customisé, celui qui figure sur la pochette de Wakin on a Pretty Daze, Kurt s’emballe sur l’une de ses dernières lectures marquantes: le Blood Meridian de Cormac McCarthy. « Les gens connaissent davantage The Road ou No Country for Old Men mais c’est le plus intense. Il se déroule au XIXe siècle pendant la colonisation des Etats-Unis. J’adore. Mon album est sombre mais définitivement pas de la même manière. » Step into the night…

B’LIEVE I’M GOIN DOWN… DISTRIBUÉ PAR MATADOR.

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LE 01/11 À L’AB BOX.

RENCONTRE Julien Broquet

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