Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Grain de beauté – Rare sur scène, Tom Waits livre un témoignage de sa tournée 2008. Vociférations blues, cabaret déglingué, polka fantôme: il est beau, le caniveau…

« Glitter And Doom Live »

Distribué par Anti/Pias.

Chez Tom Waits, il y a d’abord la voix. Encore et toujours. Elle est à l’exacte opposée de celle de Bob Dylan. Le Zim grince et nasille, telle une grand-mère acariâtre. L’oncle Tom, lui, grogne, graillonne, éructe à la manière d’un Barbe-bleue qui aurait bouffé trois vierges au petit-déjeuner. On peut ne pas aimer, mais il y a un monde dans cet organe en verre pilé. Des histoires sans fin d’amours noyées, de cabaret fantôme, de chien à 5 pattes, écrites sur du papier de verre. Cette voix, on a beau la connaître par c£ur, elle reste l’aimant, le point de gravité de Glitter And Doom Live. Elle prend sur scène une dimension supplémentaire, littéralement inouïe, comme si elle avançait en permanence sur un tapis de caillasses chauffées à blanc.

Ce n’est toutefois pas le seul atout de ce témoignage live. Le premier reste d’abord son… existence. Tom Waits tourne peu. Et quand il part sur la route, il le fait de manière parcimonieuse, dans des salles à capacité limitée. Sans grande surprise, le Glitter And Doom Tour 2008 ne s’est pas arrêté par ici (pas plus qu’à Londres, Rome ou Berlin…). Cet enregistrement est donc loin d’être superflu.

Fables et rugissements

Pour le coup, la set-list ne se contente pas de balancer un best of caché. A l’affiche figurent bien des titres comme Singapore, Dirt In The Ground, ou Falling Down. Mais pour l’essentiel, Tom Waits a préféré se concentrer sur ses derniers travaux, comme Real Gone (2004) ou le triple Orphans (2006). Le disque commence ainsi avec Lucinda, dans laquelle Waits intègre le refrain de Ain’t Goin Down. « I left Texas to follow Lucinda/Now I’ll never see heaven or home », râle-t-il dans cette polka-blues pouilleuse et extatique. Plus loin, sur Such A Scream, il se transforme en James Brown qui taperait le carton avec Screamin’ Jay Hawkins.

Par bien des côtés, Tom Waits est intouchable. Il a travaillé pour le théâtre, a tourné avec Jarmusch et Gilliam. Devenu icône branchée, son crédit est au moins aussi important que celui d’un Bowie, d’un Dylan ou d’un David Byrne. Jamais cette aura ne pèse pourtant dans Glitter And Doom. Il est ainsi réjouissant d’entendre régulièrement le public, pourtant installé dans de confortables et respectables fauteuils de salles de théâtre, exulter, crier, apostropher le chanteur. Qui donne le change plus souvent qu’à son tour. Il faut l’écouter passer d’un tire-larmes comme Green Grass au blues claudiquant de Make It Rain. Bien sûr, par moments, la caricature n’est pas très loin. Mais le grognard en est le premier conscient. Comme quand il bute sur le début de Lucky Day et recommence: « De toute façon, elles démarrent toutes de la même manière! », lâche-t-il, roublard.

Cerise sur le gâteau: un deuxième CD d’une trentaine de minutes reprend d’une traite les nombreuses interventions/divagations que Tom Waits égrène entre les morceaux. Des histoires délirantes de pâtes alphabet nazies, de cercueils à sonnette, en passant par le dernier souffle de Henry Ford acheté sur eBay… Une sorte de numéro de stand up drôle et surréaliste. C’est sûr, il manque une case à l’oncle Tom. Profitez-en!

Laurent Hoebrechts

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