En juillet dernier, la presse internationale était conviée à Tokyo pour la présentation de 2012, le nouveau film de Roland Emmerich. à défaut de l’éclipse annoncée, on y eut droit à un avant-goût de l’apocalypse… Lost in translation? Suivez le guide…

oilà quelques dizaines de minutes que l’on a laissé derrière soi l’aéroport de Narita, et le train à destination de Ueno aborde la banlieue tokyote. De part et d’autre des voies, les petites rues s’étirent entre les maisons; aux passages à niveau, des écolières en uniforme et des passants, protégés par leurs parapluies, attendent, indifférents. On en est encore à s’imaginer dans un film de Ozu, en plein Voyage à Tokyo/Tokyo monogatari en v.o., quand l’autre réalité de la ville s’impose, espace saturé jusqu’à l’étouffement – sentiment qui culminera, quelques heures plus tard, lorsqu’on poussera une tête jusqu’à Shibuya, sa foule et ses écrans géants aux bandes-son se superposant en une cacophonie indescriptible. Lost in Translation? Voilà qui ressemble en effet à s’y méprendre à « The Bill Murray Experience ». Tout au plus n’est-on pas là pour vanter les mérites d’une marque de whisky, mais pour découvrir… 2012, le nouveau film de Roland Emmerich.

Quel rapport avec le pays du Soleil levant? Si une poignée de représentants de la presse internationale a été conviée à Tokyo, ce n’est pas que pure coquetterie. Nous sommes le 21 juillet, et le lendemain, sur le coup de 11 h 12 locales, le ciel de la ville doit s’obscurcir sous l’effet d’une éclipse totale du soleil, la première visible au Japon depuis 46 ans. Si l’on en croit les écrits de Nostradamus, ce phénomène naturel pourrait fort bien être le signe précurseur de l’avènement de l’Empire de l’Antéchrist – une prédiction parmi un faisceau d’éléments nous promettant la débâcle ultime à l’horizon 2012. De quoi, en tout état de cause, faire le miel d’un réalisateur passé maître ès apocalypse et destruction massive: Independence Day, c’était lui, Godzilla, c’était encore lui et The Day After Tomorrow, c’était toujours lui.

Si les organisateurs ont tout prévu, restait un impondérable, la météo

Au jour J, rien n’a été laissé au hasard. De mémoire de journaliste, on n’a jamais vu un planning minuté avec un tel luxe de précision. A titre d’exemple, cet échantillon, emprunté à la feuille de route que chacun a reçue lors de son arrivée:

11: 10 – 11: 15: See the eclipse with Mr. Matsui’s commentary

11: 16 – 11: 18: Roland Emmerich appears on the stage

11: 18: RE ends greetings with cue for skywriting

11: 18 – 11: 20: Skywriting

Mais voilà, si les organisateurs ont tout prévu, restait évidemment un impondérable, la météo. Le 22, Tokyo est recouverte par une purée de pois aussi triste qu’un matin belge, la douceur mise à part. Si l’on s’est bien muni des lunettes ad hoc pour rejoindre, sous bon encadrement, l’étage panoramique des Mori Towers qui dominent le quartier de Roppongi, où doit avoir lieu la présentation officielle, c’est toutefois sans se bercer d’illusions. De l’éclipse, on n’aura in fine qu’un aperçu fort lointain, déception du reste partagée par beaucoup d’autres. Et chacun de se reporter vers les moniteurs TV mis à disposition, avec vue imprenable sur les quelques centaines de curieux ayant rejoint l’île d’Akuseki, poste d’observation idéal de l’archipel nippon, astronomes improvisés en étant, pour l’heure, réduits à s’agglutiner dans de petites tentes d’où ils tentent désespérément de percer le voile épais des nuages.

Qu’à cela ne tienne. Dans la brume de Tokyo, un plan B a été prévu, certes moins spectaculaire, mais pas moins instructif pour autant. Voilà donc que Takafumi Matsui, un professeur émérite, présente à l’assistance un exposé scientifique sur le mécanisme des éclipses. Non sans énoncer les craintes de divers spécialistes relatives à une diminution inexorable de l’activité solaire, avec pour perspective possible un nouvel âge de glace – une éventualité qu’envisageait Emmerich dans The Day After Tomorrow, en 2004 . « A l’époque où je l’ai tourné, tout le monde y voyait de la science-fiction. Mais 2 ou 3 ans plus tard, chacun s’accordait à dire que c’était de l’ordre du possible », nous confiera-t-il le lendemain, point mécontent de son petit effet.

A défaut d’éclipse, voilà d’ailleurs le réalisateur qui apparaît. Est-ce parce qu’il a un jour envoyé Godzilla, ce monstre emprunté au patrimoine cinématographique national, réduire New York en poussières? Toujours est-il que le cinéaste d’origine allemande semble jouir, ici, d’une popularité insubmersible. Et entretenue, pour le coup, d’une bonne dose d’humour potache: « Si on a de la chance, peut-être qu’un tremblement de terre va se déclarer… « , avance-t-il, sur le ton de la plaisanterie, avant de laisser ses interlocuteurs à la suite du programme. A savoir 2 exposés en forme d’initiation aux subtilités du calendrier maya, qui vient à s’achever en 2012, accréditant l’hypothèse commune à différentes cultures d’un basculement de l’humanité à cette échéance. Ce qui, traduit dans le langage visuel de Roland Emmerich, nous vaut un déluge pyrotechnique particulièrement saisissant, renvoyant des villes entières aux oubliettes de l’histoire – l’échantillon du film auquel on a droit en guise de clou de cette première journée est aussi spectaculaire que réjouissant; il ne manque plus que les sièges qui bougent pour que le tableau soit complet.

Survivre à Hollywood…

S’il y a dans l’apocalypse que l’on nous promet pour 2012 quelque fond prétendument scientifique, ne comptez pas pour autant sur Roland Emmerich pour lui donner plus de crédit que nécessaire afin de produire un film catastrophe. « Pourquoi devrais-je y croire?, observe-t-il, alors qu’on le retrouve le lendemain pour un entretien détendu. Si tel était le cas, je n’aurais pas la distance nécessaire. Le format classique du film catastrophe s’appuie toujours sur un scénario du type « Et si… « . «  Dont acte, et parole d’orfèvre en la matière, lui dont la filmographie oscille entre la catastrophe et, vous diront les mauvaises langues, le catastrophique – 10000 BC. Et qui ajoute, à ce propos: « Je fais beaucoup de recherches, et je m’en éloigne ensuite. Si l’on est trop précis en termes scientifiques, il est rare que cela fonctionne au cinéma, il n’y a plus rien de cool…  »

Ce à quoi reste par contre viscéralement attaché le réalisateur, c’est la portée sous-jacente de ce type de film, même si le spectateur lambda n’y verra sans doute que divertissement spectaculaire. « Si on fait un film catastrophe de nos jours, on ne peut se contenter d’un film catastrophe.  » Après le réchauffement climatique dans The Day After Tomorrow, le voilà donc qui s’attèle, avec 2012, à ce qu’il considère comme « une réécriture moderne de l’Arche de Noé. Le film veut signifier à tout un chacun qu’il n’y a peut-être pas lieu de faire confiance aussi aveuglément à nos dirigeants. Lorsque nous l’écrivions, j’ai d’ailleurs dit à Harald Kloser qu’il pourrait s’agir d’un film sur le G8. »

Le conditionnel est de mise, bien sûr. Après tout, ce qui est surtout à l’£uvre ici, c’est un potentiel de destruction maximalisé par la technologie et des moyens confortables; un beau jouet hollywoodien à 200 millions de dollars au bas mot – « rien d’extravagant, précise le réalisateur. Le studio s’est d’ailleurs montré enchanté: ils ont dépensé 200 millions, mais le film donne l’impression d’en avoir coûté 400. »

Pour ce prix-là, on a droit à la totale en effet, en ce compris l’envoi de Los Angeles par le fond, en un écho amplifié de la tornade qui, dans The Day After Tomorrow, venait, parmi d’autres dégâts, pulvériser l’enseigne emblématique de Hollywood. Une fixation? « J’habite L.A. , et y faire débuter ces catastrophes m’amuse. Mais c’est aussi le fruit de la relation amour/haine que j’entretiens avec Hollywood. D’un côté, j’adore cet endroit qui me permet de faire ce type de film avec des budgets confortables. Et d’un autre côté, je déteste Hollywood parce que tout y est orienté vers les franchises – on a l’impression que cette industrie est dirigée par des super-héros de bandes dessinées. Combien allons-nous encore devoir nous en farcir? Curieusement, j’ai toujours réussi à tourner des films qui me correspondent: bien sûr, il y a des astuces, et il faut être relativement commercial, mais cela n’exclut pas un certain pouvoir de subversion. Vous pensez sérieusement qu’un studio aurait développé le scénario de The Day After Tomorrow , avec une telle fin? Idem pour 2012 . Ils savent ce que je peux faire de ce type de matériel et ce qu’ont rapporté mes films, et ils se bousculent donc pour les avoir. Après, on se met d’accord sur les éléments clés et sur le budget. Tant que je reste dans les limites de ce dernier, je dispose de beaucoup de latitudes, et je garde les commandes. J’ai trouvé le moyen d’exister dans ce système. » On imaginait mal que l’homme ayant présidé à tant d’apocalypses ne puisse survivre à Hollywood…

Texte Jean-François Pluijgers, à Tokyo.

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