Tilda Swinton excelle dans Burn After Reading, de Joel et Ethan Coen, où elle a trouvé un rôle sur mesure…

Tilda Swinton, voilà une vingtaine d’années que les cinéphiles la découvraient dans Caravaggio de Derek Jarman, cinéaste expérimental dont elle resterait l’égérie jusqu’à sa disparition, au milieu des années 90. Entre-temps, l’actrice écossaise avait accédé à une reconnaissance plus large à la faveur d’ Orlando, d’après Virginia Woolf, porté à l’écran par Sally Potter. Rien à voir, toutefois, avec l’explosion des années 2000 qui, dans la foulée de l’excellent The Deep End, la verraient évoluer avec un même bonheur dans les sphères indépendantes ou hollywoodiennes.

Présence intense autant que troublante, Tilda Swinton peut en effet imprégner la toile de L’Homme de Londres de Bela Tarr, comme prêter ses traits à la sorcière blanche – elle a le teint diaphane, sur lequel tranchent ses cheveux roux – des Chroniques de Narnia. Incarner la Julia d’Erick Zonca comme affronter George Clooney dans Michael Clayton de Tony Gilroy, un Oscar du meilleur second rôle à la clé. S’apprêter, enfin, à présider le jury de la Berlinale en même temps qu’on la découvrira dans The Curious Case of Benjamin Button de David Fincher, excusez du peu.

George Clooney, elle l’a donc retrouvé pour Burn After Reading ( voir également notre critique en page 30), sa première – et fort convaincante – incursion dans l’univers des frères Coen.  » Je ne pense pas qu’il ait intercédé en ma faveur, rit-elle de bon c£ur, alors qu’on la rencontre, modèle d’élégance raffinée, au lendemain de la projection vénitienne du film. Non que quiconque, pas même George Clooney – ceci précisé avec tout le respect que je lui dois – puisse exercer la moindre influence sur les Coen… »

Les Coen, la comédienne fréquentait leur cinéma assidûment avant de répondre à leur appel. Au point, d’ailleurs, de n’avoir guère été surprise à l’instant de les rencontrer:  » Ils correspondent assez bien à ce que l’on peut imaginer: des types extrêmement intelligents, qui trimballent, en quelque sorte, leur atmosphère avec eux. L’un des avantages des gens qui ont vingt ans de travail derrière eux, c’est qu’on finit par savoir qui ils sont à travers leurs films, avant même de les rencontrer. Je savais pertinemment à quoi je m’apprêtais à m’engager. Ils souhaitaient faire ce qu’ils font le mieux, à savoir un film des frères Coen, et, étant fan de leur travail, c’est ce à quoi je m’étais préparée… » En ce compris la perspective de travailler avec un duo de réalisateurs:  » Ce ne sont pas seulement deux individus, mais aussi deux artistes différents. Je ne sais pas à quel instant ils fusionnent, peut-être au moment de l’écriture. Mais toujours est-il que lorsque je les ai rencontrés, ils étaient parfaitement en accord. J’avais déjà éprouvé cela avec une autre paire de metteurs en scène sur The Deep End , que codirigeaient Scott McGeehee et David Siegel… »

Une femme en colère

Avec son penchant pour l’humour subtilement décalé, on devine qu’une communauté d’esprit devait par ailleurs l’unir à ses metteurs en scène. Si bien, d’ailleurs, que les Coen s’en tinrent à une description fort succincte du personnage de Katie Cox, qu’elle interprète dans le film.  » Une phrase ou l’autre, tout au plus, mais c’était suffisant. Ils m’ont parlé d’une femme incroyablement en colère, à tout propos et sur tout le monde. Il n’en fallait pas plus pour chatouiller mon sens de l’humour. »

Et, partant, construire un personnage pas piqué des hannetons:  » C’est fort simple. J’hésite d’ailleurs à parler de processus, parce que cela laisserait penser qu’il y a une méthode, et ce n’est pas le cas, en ce qui me concerne. Il suffit que quelque chose éveille mon imagination pour que je puisse me mettre à en jouer. Tous les personnages du film vivent dans leur obsession, leur isolement qui correspond, dans le chef de Katie Cox, à sa décision d’être irrémédiablement déçue. Avec son côté passif agressif réprimé, elle est pour moi un croisement entre Basil et Sybil Fawlty, ce qui m’a beaucoup amusée« , ajoutera-t-elle, en référence à la série télévisée L’hôtel en folie où « sévissait » John Cleese au milieu des années 70.

Soulignant encore la qualité du script des frères Coen –  » l’écriture est tellement précise que le scénario donne l’impression de se diriger lui-même » -, Tilda Swinton s’attarde aussi sur la portée du film.  » L’essentiel, à mes yeux, est que chacun puisse y projeter ce que bon lui semble. Mais je suis l’étrangère dans le film, et l’étrangère dans le team, ce qui me donne le droit de le commenter. En le voyant hier soir pour la première fois, j’ai pensé à Jonathan Swift: ce récit parle d’une façon tellement noire et astucieuse d’une sorte de paranoïa et de scénario d’aliénation cauchemardesque. » Et d’observer encore, un sourire en coin,  » ce dont les Etats-Unis n’ont certes pas le monopole mais dont ils semblent s’être faits une spécialité. Mais ce point de vue n’engage que moi… »

Rencontre Jean-François Pluijgers, à Venise

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