Thomas Azier

Sa mission? Perpétuer une certaine idée de la pop. © © Patricia Khan

Néerlandais exilé à Berlin, installé aujourd’hui à Paris, Thomas Azier rêve une pop européenne. Une musique, à la fois mainstream et personnelle, accessible et sensible.

Cheveux blonds ramenés en arrière, gabardine beige, Thomas Azier affiche volontiers des airs de romantique allemand. Ou de James Dean new wave. Il en a le regard ombrageux, et sourit peu. Mais ne laisse planer aucun doute sur son engagement: pour le dire simplement, Thomas Azier est en mission. Celle de perpétuer une certaine idée de la pop, qui assume pleinement son format, tout en laissant assez d’espace pour l’intime et le personnel.

Né en 1987, il a grandi au nord des Pays-Bas, dans une petite commune perdue, « où il n’y a rien à part des vaches ». Pas de télé à la maison, explique-t-il, et tous les jours douze kilomètres à vélo à travers les champs pour rejoindre son école. « C’était une vie assez recluse. Je n’avais pas beaucoup d’amis. » Dès l’âge de cinq ans, il apprend le piano. « Je répétais du classique, mais souvent, en cours de route, je changeais le morceau pour faire ma propre musique. » Quand il a douze ans, c’est le grand chamboulement: Internet débarque. Il découvre tout un monde, de l’autre côté de la matrix.« J’ai commencé à découvrir tous ces groupes géniaux. Je passais de Nirvana au Wu-Tang Clan, puis je découvrais Nick Cave, Jeff Buckley, Scott Walker, et D’Angelo. Ça n’avait aucun sens, mais j’adorais ça! » Bientôt, il laisse définitivement le classique de côté et fait allégeance à la pop. Passionné, mais lucide. « J’étais conscient que je n’étais pas encore assez bon pour faire ce que je voulais faire, que je devais encore vivre et expérimenter des choses. » À la sortie des secondaires, il annonce donc à ses parents qu’il veut partir à Berlin. « Ils pensaient que j’allais revenir au bout de quelques semaines. Je ne suis jamais rentré. » Arrivé sur place, la ville fait son office. Thomas Azier est happé par la nuit, les clubs, la créativité qui explose de partout, et les excès qui vont avec. « J’avais l’impression de vivre dans le Lower East Side, à New York, au début des années 80, où tout le monde était tellement libre dans sa sexualité, dans son art… Pendant cinq ans, j’ai vécu ça à fond. » Mais même les plus longues fêtes ont une fin. Quand les lumières se rallument, Thomas Azier a appris, engrangé, vu, expérimenté, mais se retrouve seul. « Il y a ce mythe de Berlin qui fonctionnerait comme une grande communauté artistique. Mais c’est tout l’inverse. Chacun est dans sa bulle. Il y a bien une scène techno. Mais ce n’est pas comme si vous alliez croiser Marcel Dettmann dans la rue et commencer une collaboration avec lui. La seule « communauté » est celle des gens qui viennent trois mois, prennent des drogues, font la fête non-stop et puis repartent, en laissant la ville exsangue. Et les Allemands finissent aussi par vous juger pour cela. Même quand vous habitez depuis des années sur place. »

Après dix ans, Thomas Azier finit donc par déménager à Paris. Il découvre de nouvelles coutumes –« comme le fait de luncher pendant trois heures » (rires)- et, surtout, trouve un label. Il signe sur la major Universal, participe à des sessions d’écriture, se retrouve à collaborer avec Stromae (ou Baloji). Son premier album, Hylas, sort en 2014. « Il y avait beaucoup de choses dans ce disque, parfois trop. J’ai pu me perdre par moments. C’était ce dont j’avais besoin à l’époque, et je l’aime toujours. Mais je voulais davantage me concentrer sur l’écriture des chansons. »

Pour ce deuxième album, il cherche un copilote/arrangeur/producteur pour l’épauler. Ce sera Dan Lévy, moitié masculine du groupe The Do. Le Néerlandais errant s’installe pendant six mois dans son studio, en Normandie. Deux fortes têtes, partageant le même genre d’ambition qui peut parfois passer pour de l’arrogance. « Je vous laisse imaginer la suite du scénario… » Des cris, de la sueur, du sang et des larmes. Et pas mal d’amour aussi. Se parlent-ils encore? « Oui! C’est comme une relation de six mois. Vous continuez d’y penser le restant de votre vie. » (rires)

L’album est finalement sorti le mois dernier. Il s’intitule Rouge, « la couleur qui produit les meilleurs contrastes », « à la fois très intense, mais qui n’est pas binaire comme le noir et le blanc ». Toujours un peu maniéré, mais plus nuancé, Thomas Azier a imaginé un album centré sur la voix. « À cet égard, c’est un disque qui doit beaucoup aux cultures vocales française et belge, qui sont riches de voix masculines hyper émotionnelles -je ne dois pas vous parler de Brel, ou même de Gainsbourg, qui a aussi amené énormément dans l’art de l’arrangement, cette manière hyper intelligente de placer la musique au service de la voix. »

En filigrane se dégage l’envie d’une pop européenne -entendez continentale-, inspirée par le modèle anglo-saxon sans s’y perdre. Même si Thomas Azier est conscient que le concept a du mal à convaincre ces jours-ci. « En Angleterre ou aux États-Unis il existe un tas d’artistes qui proposent des choses originales et réussissent à vendre des disques. En Europe, vous devez choisir: soit vous êtes dans le mainstream, soit dans l’underground. Et de temps en temps, une fois tous les deux ans peut-être, l’un ou l’autre artiste est autorisé à passer de l’un à l’autre. Comme Stromae ou Christine & the Queens, qui a dû réussir en Angleterre pour qu’on lui donne vraiment du crédit ici. » On fait le compte: Chaleur humaine est sorti en 2014. Thomas Azier est-il le prochain sur la liste?

Thomas Azier, Rouge, distr. Universal.

Rencontre Laurent Hoebrechts

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