DANS LA FAMILLE DES SÉRIES DE GANGSTERS, FAÇON ADAPTATION D’HISTOIRES VRAIES, PEAKY BLINDERS S’EST IMPOSÉE COMME UN SPÉCIMEN DE GRANDE QUALITÉ. ET ARTE L’A BIEN COMPRIS.

Ca n’a pas l’air plus folichon que ça, le Birmingham de l’après-Grande Guerre. Des fourneaux qui crachent le feu à même la rue, des allées pleines de boue, des pubs où les hommes se mettent sur la tronche. Un environnement industriel où les prolétaires tanguent entre les révolutionnaires communistes et la famille Shelby, puissante mafia locale dont les membres ont en commun de glisser une lame de rasoir dans la visière de leurs casquettes. D’où le patronyme de Peaky Blinders. Pas vraiment folichonne non plus, cette histoire de visière. Mais de cette glaise quasi dickensienne aux relents sombres, âpres et plutôt déprimants va s’extraire l’anti-héros charismatique. D’éminence grise de la famille, Tommy Shelby (Cillian Murphy, qui vient renforcer les rangs des grands acteurs de cinéma passés par la case télé) va rapidement passer chef de meute. Très marqué, au même titre que ses frères, par les combats dans la Somme, Tommy cherche rapidement à étendre l’activité des siens, entre vols, extorsions et paris sur les champs de course. Mais sur sa route, se fixent non seulement les grands mafiosi de l’époque, genre Billy Kimber, mais également un agent très spécial dépêché par Winston Churchill. Venu tout droit de Belfast, au moment où la question de l’indépendance irlandaise commence à agiter la Grande-Bretagne, Chester Campbell (le vétéran néo-zélandais Sam Neill, un peu en retrait ces dernières années) a bien l’intention de récupérer une cargaison d’armes tombée entre les mains des Peaky. Et ce par tous les moyens. Même en lançant Grace Burgess, une jeune femme aussi ravissante que mystérieuse, dans le jeu de quilles.

Diffusée pour la première fois en septembre 2013 sur BBC Two, Peaky Blinders arrive enfin sur une chaîne francophone. Avec un doublage qui devrait malheureusement gommer la saveur de ses accents, tous plus acérés les uns que les autres. Qu’à cela ne tienne, la série créée par Steven Knight (à qui l’on doit notamment l’étouffant Locke, avec un Tom Hardy qui vient enrichir la saison 2 de sa magnétique présence) a suffisamment d’autres atouts pour convaincre, même en français. A commencer par une bande-son assez ébouriffante, menée essentiellement par Nick Cave (pour le générique entre autres) et par les White Stripes. Une idée assez culotée que celle d’enchaîner les riffs de guitare électrique en l’an de grâce 1919, dans une dialectique images-musique délicieusement anachronique et résolument musclée. Viennent également les réflexions sur un pays laissé groggy par la guerre, un pays au nom duquel des hordes de jeunes gens ont vécu l’enfer et sont revenus traumatisés, le tout pendant que les matrones reprenaient les affaires à domicile. Le communisme comme alternative sociale, la question irlandaise et l’avènement de l’IRA sont autant de thèmes qui traversent également cette histoire de voyous un peu particulière. Particulière parce qu’inspirée d’une véritable bande de malfrats locaux. Si les visières aveuglantes (le sang brouillant la vue des victimes) semblent faire partie d’une légende écrite a posteriori, les Peaky Blinders étaient bel et bien des criminels célèbres sévissant à Birmingham au tournant du XXe siècle. Steven Knight a simplement choisi de les faire évoluer quelques années plus tard. En incluant d’autres véritables figures de l’époque (Billy Kimber, Winston Chruchill, etc.) dans un patchwork historico-fictionnel qui ne doit pas être pris pour argent comptant, mais qui a la bonne idée de s’appuyer sur une photo assez bluffante, sur une intrigue intelligemment tricotée et sur l’interprétation sans faille (si l’on excepte l’accent un peu appuyé de Sam Neill ou les mimiques un peu grassouillettes associées à Churchill) d’un casting mené par un Cillian Murphy complètement hypnotisant dans son rôle de stratège criminel malin, déterminé et pragmatique.

Al Capone, Wild Bill Hickock

Peaky Blinders n’est pas la première série de gangsters à s’appuyer sur des faits réels pour nouer son intrigue. On pense bien évidemment au sommet du genre, Boardwalk Empire qui, au départ d’une figure de la mafia d’Atlantic City et d’un roman historique le prenant pour héros, croquait toutes les grandes figures du banditisme américain de l’entre-deux-guerres, de Lucky Luciano à Al Capone. La filiation est assez criante, même si Boardwalk Empire a tellement soigné ses cinq saisons qu’elle n’est pas encore prête à être dépassée. Plus loin dans le temps, et avec une vraie pertinence historique, les bandits de Deadwood étaient, comme la plupart des personnages de cette épatante série, calqués sur les véritables Wild Bill Hickock et autre Al Swearengen. Au final, la plupart des séries dépeignant la vie de voyous s’inspirent, d’une manière ou d’une autre et à des degrés divers, de faits réels. Tout le volet trafiquants de drogues, Avon Barksdale et Stringer Bell en tête, dépeint comme jamais dans la fantastique The Wire, était basé sur le travail journalistique de David Simon, qui avait suivi la police de Baltimore à la culotte, pendant de longs mois. Quant aux gangs fictifs de motards hors-la-loi de Sons of Anarchy, ils viennent également des recherches effectuées par Kurt Sutter dans le monde bien réel du banditisme californien. Restent Les Sopranos, pour lesquels David Chase s’est simplement basé sur ses propres expériences, en les appliquant à une famille de mafieux -ce qu’il n’était pas!

PEAKY BLINDERS, DÈS LE JEUDI 12/03 À 20 H 50 SUR ARTE.

TEXTE Guy Verstraeten

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