LEUR 6E ALBUMTHE TAKE OFF AND LANDING OF EVERYTHING SOUS LE BRAS, LES MANCUNIENS D’ELBOW ACCUEILLENT FOCUS DANS LEUR STUDIO ET RACONTENT LE COMPTE AU PUBDU COIN. BOYS NEXT DOOR.

À Manchester, les chauffeurs de taxi, a fortiori si vous êtes belges, préfèrent causer football. Défendre mordicus que Fellaini, à leur grand désespoir, n’a pas le talent pour porter le maillot d’United. Et vous assurer que City sera champion maintenant que Kompany est à nouveau sur pied… Mais si le ballon rond divise les Mancuniens, Elbow est plutôt du genre à faire l’unanimité. Il est d’ailleurs devenu l’une des fiertés de la ville.

Qui l’eût cru. Véritable success story, son parcours est du genre à faire rêver dans les cités ouvrières et les milieux populaires. Lorsqu’il s’est mis à bosser sur The Seldom Seen Kid, son 4e disque, Elbow n’avait ni producteur ni label. Deux ans plus tard, il avait rencontré le grand public et reçu le prestigieux Mercury Prize au nez et à la barbe de Radiohead, d’Adele et des Last Shadow Puppets. Aujourd’hui, il figure même dans les livres d’Histoire. Soft, l’une de ses premières incarnations, avait donné le dernier concert de l’Haçienda avant sa fermeture. « Un hasard« , dit-il d’une voix. Qu’à cela ne tienne. Elbow a écrit le thème des Jeux Olympiques de Londres. « Nous avons de la chance, avoue son chanteur, l’aussi imposant que modeste Guy Garvey, large bonhomme au physique de videur. Nous avons des potes qui sont de fabuleux musiciens mais pour qui rien n’est jamais arrivé. Tant d’éléments entrent en jeu dans une carrière. Maintenant, nous avons fait de la musique un job à plein temps, cinq jours semaines et souvent plus, pendant 23 ans. Nous avons adoré ce boulot. Mais nous avons bossé. Je me suis longtemps senti gêné, embarrassé par le succès. Je viens d’ailleurs seulement de sortir notre disque d’or du placard. J’ai finalement réalisé. Mais oui, putain, je l’ai quelque part mérité. Je me dis désormais que je devrais le porter autour du cou. Vous pourrez m’appeler Lord Gaga. »

Garvey a le sens de l’humour et, fucking hell, un accent du nord de l’Angleterre à couper au couteau. Le QG des Mancuniens, leur centre névralgique, est planté à Salford, dans un quartier au calme neurasthénique. Seul un bar, le Eagle Inn, au charme typiquement british, trône fièrement au milieu de ces rues désertes. Pas besoin de chercher bien longtemps où les membres d’Elbow terminent leur journée de travail. « C‘est le seul défaut des Blueprint Studios. L’appel du pub« , rigole le chanteur tandis qu’il assure, accompagné du bassiste Pete Turner et du batteur Richard Jupp, la promo de son nouvel album sur la terrasse arrière du troquet.

Justin Timberlake, Smokey Robinson, Damon Albarn et 50 Cent pour ne citer qu’eux… Le Blueprint voisin a vu défiler pas mal de beau monde. Construit en 1870, le bâtiment a d’abord servi de maison missionnaire. Il n’a été repensé et transformé en studio qu’en 2003. « Le mec qui possède l’endroit est un vieil ami à nous. On est co-propriétaires depuis un an, raconte Pete. On prend possession des lieux, une pièce après l’autre. Au début, il y avait une douche dans notre control room mais ça commence tout doucement à ressembler à un vrai studio. » Au sous-sol, des petites salles de répétition propres et pas chères servent aux jeunes groupes locaux. Quelques écoles de musique occupent également les lieux en journée.

Elbow est installé au dernier étage. Un grand volume extrêmement lumineux où traînent tous ses instruments et les objets les plus divers. Les Mancuniens ont même réussi à y monter une table de ping-pong. « On a eu de la chance. Tout le monde aurait aimé s’installer ici. Même Johnny fucking Marr… »

Midlife crisis

Le jour de notre rencontre, début décembre, Elbow n’a pas encore la pochette de son nouvel album. Il en a encore modifié le titre le matin même. Censée s’appeler Carry Her Carry Me, la galette s’intitulera finalement The Take Off and Landing of Everything. Le nom d’une chanson du disque. « Ce truc cacophonique né de notre amour pour le prog, le space rock, Primal Scream et Spiritualized… Il fait référence au fait que beaucoup de choses se sont passées dans nos petites existences. Des naissances, des unions, des séparations… Puis à l’idée qu’à partir de 40 piges, tu réévalues et relativises beaucoup de choses dans ta vie. »

Plusieurs morceaux sont écrits du point de vue d’un vieil homme aux conseils paternalistes. Garvey reste pourtant le seul membre du groupe sans enfant. « Souvent, je me mets dans les pompes d’un type plus âgé. 40 piges, c’est une heure de bilan. Tu regardes ce que tu as fait de tes 40 premières années et tu penses à ce que tu vas faire des 40 suivantes. Beaucoup de gens, je pense, changent de vie parce qu’ils estiment être à la moitié de leur existence. Nombre de mes amis découvrent l’ecstasy alors qu’ils avoisinent les 40 berges. »

Mais comment, pour le paraphraser, est-ce qu’une rock star vit sa midlife crisis? Elle vend sa moto? Garvey se marre. « Dans My Sad Captains, il y a cette phrase: « We only pass this way but once. » On la doit à John Penn, le fondateur de la Pennsylvanie. Le bassiste d’I Am Kloot (Garvey a enregistré et produit leur remarquable premier album: Natural History, ndlr) Peter Jobson, un super ami à moi, la ressort tout le temps, genre: « Tu bois une bière Peter? » »We pass this way but once. » Profite de la moindre seconde de ton existence… C’est je pense une bonne manière d’aborder et de traverser la vie. Si tu le peux. Moi, je n’ai pas le moindre regret. Pas un. « I’m gonna love you till the wheels come off« , chante Tom Waits dans Picture in a Frame. Ça justifie qu’à mon âge même si je fume et bois trop, je ne changerai plus. »

Si Elbow voulait un album plus terrestre, plus groovy, il a aussi durant sa conception reprononcé le mot prog. « Je suis content qu’il soit à nouveau sur le devant de la scène. On avait déjà parlé de prog quand il était encore une insulte, en fabriquant notre premier album, Asleep in the Back. Les temps changent. Les gamins sont tombés sur Led Zep, King Crimson et se sont demandé ce que pouvait bien être ce truc. L’expérimentation, la progression des chansons… On a une fâcheuse tendance à oublier ce que le prog a amené au rock. Les sons qu’il lui a permis de découvrir. »

Réfugiés et potes de café

Garvey est né dans une famille catholique de Bury en mars 1974, d’une mère conseillère et d’un père relecteur, accessoirement syndicaliste… Il est le sixième de leurs sept enfants et le premier garçon. L’autre, Marcus, bosse lui aussi dans le secteur du divertissement. Il est devenu acteur. Assurant notamment des petits rôles récurrents dans les séries Wolfblood et plus récemment Broadchurch, où il incarne un officier de police porté sur les toasts.

Avant de vivre de la musique, Guy a vendu du double vitrage en porte à porte et trimé pendant un an dans un club de golf. « A nettoyer des toilettes avec un walkman sur les oreilles pour des gens dégueulasses. » Ce qui lui fait dire aujourd’hui qu’il est prêt à n’importe quoi tant qu’il peut écouter sa musique. « Il y en avait beaucoup à la maison quand j’étais gosse. J’avais cinq grandes soeurs. L’une était punk. L’autre écoutait de la soul. La troisième baignait dans le prog. Les dernières étaient folk ou disco… Elles voulaient toutes me rallier à leur cause. »

Garvey a chanté pour la première fois avec les mecs d’Elbow, qui eux étaient tous inscrits dans la même école primaire, dans un pub du patelin en 1990. Ils n’étaient pas encore en âge de boire.

Outre la crise de la quarantaine, New York, où Garvey a séjourné de longues semaines, a sérieusement influencé le nouvel album d’Elbow. Au point qu’il avoue avoir tissé une liaison presque amoureuse avec Brooklyn. « J’ai bossé sur une comédie musicale. Une adaptation de King Kong pour laquelle j’ai écrit quelques paroles. 3D de Massive Attack a participé à sa bande-son (mais aussi Justice et The Avalanches, ndlr). J’étais du côté de Green Point. Il y a des mecs hype à te rendre malade mais je m’y suis senti comme à Manchester du temps des premiers jours d’Elbow. Je pouvais traîner dans les cafés et écrire dans un coin sans que personne ne me reconnaisse. On n’est pas très grand aux Etats-Unis. Je passe inaperçu. Reste un anonyme. Et comme il y règne une véritable culture du café -à Brooklyn, tout le monde organise ses réunions dans des bars-, je peux discrètement m’asseoir dans un coin et voler une partie de leurs vies…  »

Garvey y a écrit New York Morning -« elle devait s’appeler The City mais c’est compliqué à Manchester« – ou encore Fly Boy Blue/Lunette inspiré par l’aéroport JFK… C’est cependant à Box, dans le Wiltshire et les studios Real World de Peter Gabriel, qu’Elbow s’est enfermé pendant quinze jours et a jeté les bases de ce sixième album. « Un endroit magnifique, fantastique et spécial. On a été à Real World pour la première fois il y a une petite quinzaine d’années. On y a enregistré une version de notre premier album (la récompense pour avoir remporté une Battle of the bands locale, ndlr). Tu y es coupé des distractions de la vie quotidienne. Et tu y abats plus de boulot en une semaine qu’en trois mois à la maison. C’est le meilleur studio résidentiel du pays. J’ai toujours été plus branché Peter Gabriel que les autres. Normal que ma voix ressemble à la sienne. J’adore les premiers Genesis. Et je chantais sur ses albums solo quand j’étais gamin. »

Real World. Peter Gabriel. Une anecdote ressurgit. « On a fait une grosse bringue dans le village de Box. On a eu quelques problèmes. Passons. On est tous rentrés à bon port. Bien bourrés. Le lendemain, j’étais au studio avec notre ingénieur Danny. Et à travers la fenêtre, on a vu Peter Gabriel débarquer dans un canoë par ce beau jour ensoleillé pour écouter ce qu’on avait enregistré. On lui a passé This Blue World. Il nous a dit: « C’est un super canevas. Une magnifique toile de fond. » J’ai pensé: « Va te faire foutre, elle est finie. » Mais je ne lui ai pas dit… (rires) »

Histoire d’avancer plus vite et d’aller plus loin, Elbow a aussi modifié ses habitudes de travail, décidant de bosser cinq jours par semaine mais avec un jour différent de congé pour chaque membre du groupe. « J’ai prêté ma voix à un documentaire de la BBC. Il parlait de la confection du White Album. Et l’un des ingénieurs d’Abbey Road déclarait qu’à la fin des Beatles, si trois d’entre eux se rassemblaient, peu importe lesquels, ils trimeraient sec et l’ambiance serait géniale. Mais que si les quatre se retrouvaient dans la même pièce, rien n’en sortirait. A part de la léthargie. Ce n’est pas lié au fait d’aimer les gens ou d’avoir confiance en leur opinion. C’est de la dynamique de groupe. Nous, nous ne nous serions pas tourné les pouces mais nous n’aurions pas non plus enregistré la même musique. »

Si My Sad Captains parle de perdre ses potes de café (une obsession vous l’aurez compris), The Blanket of Night évoque un épineux sujet. Celui des réfugiés. « L’introduction ne devait pas sonner comme ça. Mais on s’est dit: « C’est ce que nous aurions fait il y a quatre ans. Changeons drastiquement. » On a dénudé le morceau. Et on a écouté Ghosts de Japan. Ça nous a emmenés dans une autre direction. Ce titre et Fly Boy Blue indiquent, je pense, l’orientation que va prendre le groupe. Plus rock, plus expérimental. »

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LE 14/06 AU PALAIS 12.

RENCONTRE Julien Broquet, À Manchester

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