Théâtre des opérations

© Huger Foote

Dans Shiloh, publié en 1952 et enfin traduit, Shelby Foote donne à palper les coulisses humaines d’une bataille terrible de la Guerre de Sécession.

En 1862, dans le Tennessee, la bataille de Shiloh fut un affrontement majeur de la guerre de Sécession. Une armée de l’Union commandée par le major-général Grant avait pénétré dans le territoire sudiste et établi son camp à Pittsburg Landing sur la rive ouest du fleuve. Les forces confédérées des généraux Johnston et Beauregard lancèrent une attaque surprise. Puis il y eut réplique. Voilà pour le récit objectif. Ce que nous donne à lire Shelby Foote en 1952 dans Shiloh va pourtant bien au-delà des simples faits stratégiques ou de coups sur un échiquier à l’échelle d’un territoire enchâssé.

Assemblant une mosaïque de destins contraires (louvoyant du côté unioniste au côté confédéré), le romancier et historien américain (1916-2005) endosse symboliquement un uniforme à hauteur des forces dans les taillis, et scrute les soubresauts humains dans ce qui devint l’une des batailles les plus sanglantes de l’Histoire (près de 24 000 victimes). Il épouse les motivations frêles, les héroïsmes maladroits, la culpabilité du survivant. Les lettres écrites à une femme au loin quand on est de corvée de permanence ou les pensées pour des parents déjà touchés par les batailles:  » En tout cas, je m’endormis sans rien d’autre en tête que quelques images éparses de mon père avec sa manche vide et de ma mère qui n’était qu’un portrait (« épouse du repos », l’ai-je nommée une fois, me rappelant le poème de Keats […])« .

Théâtre des opérations

La débâcle

Ce qui nous ligote aux lignes de Shiloh, c’est entre autres de découvrir comment Otto Flickner, artilleur de la 1re batterie du Minnesota, en est venu à s’avouer être démoralisé par l’idée de continuer à se battre, la montre à gousset de son grand-père attachée à son cou. Et la façon dont certains, parfois à peine sortis de leur ferme, sont mis de pied en cap sur le terrain sans mesurer ce qu’ils vont y perdre, rêvant encore d’aller traire les vaches. Ce qui nous transcende, c’est non seulement comment Palmer Metcalfe, jeune aide de camp, contribue à rédiger un ordre de bataille, qui se répand ensuite dans les rangs sudistes et galvanise les troupes, mais aussi son regard hébété sur la débâcle qui suit:  » Pour la première fois de ma vie, je sus ce que c’était de devoir continuer de marcher alors que tout en moi me disait d’abandonner. »

Il y a là, d’un pan à l’autre du roman, l’universalité de la violence qui surgit face au lecteur et trace ses stigmates sans jamais choisir son camp. Comme le remarque avec perspicacité le sergent Bonner du 33e régiment de L’Indiana, lorsqu’un de ses hommes souhaite faire une blague sur les rebelles confédérés:  » Je ne pense pas qu’ils aiment la pluie plus que nous autres, Klein.[…] Elle mouille leur poudre autant que la nôtre. » C’est le lot terrible et commun de petits garçons vite montés en graine pour qui la guerre, souvent une affaire de famille, brillait d’un drôle de feu, celui des histoires de chevalerie de Walter Scott ou de Dumas.

Shiloh

De Shelby Foote, éditions Rivages, traduit de l’anglais (États-Unis) par Olivier Deparis, 200 pages.

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