Le fils caché de Syd Barrett et des Zombies est hollandais, et habite dans un zoning industriel. Jacco Gardner, 24 ans, ouvre les portes de son cabinet de curiosités et donne les clés d’un univers sixties, psychédélique et fantasmagorique.

« J’ai toujours rêvé d’un autre monde. Enfant, je ne parvenais pas à me satisfaire de la réalité. Je n’étais guère populaire à l’école. Le quotidien me rendait malheureux et tous les moyens étaient bons pour y échapper. Dans cette perspective, l’univers de Syd Barrett me comblait. »

Trente secondes montre en main. C’est tout le temps qu’il aura fallu pour que le nom du génie illuminé de Pink Floyd soit lâché. Cabinet of Curiosities, le sixties, psychédélique et baroque premier album du Hollandais Jacco Gardner, est un disque sous hautes influences. « Je ne me suis jamais vraiment intéressé aux drogues, assure-t-il. Ne serait-ce même qu’à l’herbe. La musique qui me branche est tellement sous l’emprise de stupéfiants que j’ai ma dose en écoutant des disques. Les premières choses pour lesquelles je me suis passionné avaient été enregistrées sous acide. Je n’ai pas besoin d’un joint pour me dire ce qui est spécial. Si je prenais des trucs, je ferais peut-être d’ailleurs une pop tout ce qu’il y a de plus banal. »

Pas sûr. Outre Syd Barrett et Brian Wilson, « des mecs qui échappaient de manière magique à la réalité« , Jacco Gardner a pour héros les Zombies, Curt Boettcher, Billy Nicholls, Duncan Browne… « Peu de gens connaissent Boettcher mais ce type est formidable. Ecoutez Present Tense de Sagittarius. Une merveille. Il joue dessus et en a composé la plupart des chansons. Il est à son sommet. Fabuleux. Browne, c’est presque du classique et plutôt déprimant. Un peu comme si tu écoutais quelqu’un qui vivait une religieuse ou spirituelle expérience de la mort. Quant à Nicholls, il avait 18 ans seulement quand il a enregistré l’album Would you Believe sorti chez Immediate Records. Le label du manager des Stones, Andrew Loog Oldham voulait en faire la réponse anglaise au Pet Sounds des Beach Boys. Il a été tué dans l’oeuf avec la banqueroute de sa maison de disques. »

Pour peu, on vous ferait passer le jeune Jacco pour un vieux con. Genre c’était mieux avant. « Je pense que 98 % de ma collection de disques est ancrée dans les années 60 mais j’écoute aussi des groupes d’aujourd’hui. The Paperhead, Mikal Cronin… Trouble in mind, mon label américain, vient de m’envoyer quelques plaques que j’apprécie énormément. Des types comme Ty Segall et John Dwyer (Thee Oh Sees) baignent dans le même état d’esprit que moi je pense. Ils sont plus rebelles et rock’n’roll mais je suis aussi passionné qu’eux par les sixties et leur esprit.  »

Multi instrumentiste -« je peux jouer de tout ce qui possède des cordes et des touches » -, Jacco a commencé la musique à huit ans. Fait ses débuts à la clarinette et empoigné une basse à la puberté. « J’ai eu mon premier groupe à treize piges et je me suis attaqué à la guitare un ou deux ans plus tard pour pouvoir écrire mes propres chansons. C’est à ce moment-là que je me suis mis à découvrir des mecs comme Syd Barrett. Tous ces grands songwriters des années 60. Après avoir écouté quatre ou cinq fois The Madcap Laughs, j’étais capturé. Barrett était magique. A la fois beau et effrayant. Perso, je préfère le cauchemar à la réalité. Il est plus excitant et synonyme d’aventure. »

Jacco a eu un duo, The Skywalkers, avec lequel il a sorti deux EP’s de pop psychédélique regroupés sur un disque, Year One, devenu pratiquement introuvable. « On pourrait le faire represser et gagner un peu de fric mais j’aime l’idée qu’il reste une rareté. » C’est avec le batteur de ce projet, son meilleur ami depuis l’âge de sept ans, qu’il a découvert la musique. « La collection de disques de son paternel nous a ouvert les portes de tout un monde. C’était notre caverne d’Ali Baba. Chez moi, on écoutait Leonard Cohen, Peter, Paul and Mary… Des trucs plus folk. Les ramps de mon pote étaient des hippies, des intellectuels revendicateurs. Les miens n’essayaient pas de résister à la société dans laquelle ils vivaient. »

Leurs quatre mioches n’en ont pas moins fait de la musique. La soeur de Jacco a même étudié la thérapie musicale. « Elle bosse avec des autistes et enseigne dans une école. Elle a passé à ses élèves un de mes morceaux pour leur faire réaliser qu’un seul mec pouvait enregistrer tout seul une chanson aussi orchestrée soit-elle. »

Mis à part la batterie, Gardner, qui a étudié la production, a tout pris en main sur son Cabinet of Curiosities. Terré qu’il était dans un zoning industriel de Zwaag (Hoorn) au nord des Pays-Bas.

« Tout sauf une source d’inspiration. Mais tant mieux. ça t’oblige à te créer ton propre univers. Rien ne peut te distraire. C’est le désert. Je n’ai pas de voisin. Je suis entouré de bureaux. Et en plus, ça appartient à mes parents. Je ne dois pas me préoccuper de l’argent pour le loyer. De savoir si ce que je fais est lucratif. ça m’a permis de m’impliquer pleinement dans ce disque une fois mon diplôme en poche. »

Solitaire, Gardner a été jusqu’à passer une semaine dans sa planque sans parler à qui que ce soit d’autre qu’à son épicier. S’il s’est beaucoup évadé en musique, Jacco a aussi souvent pris la poudre d’escampette en regardant des films. « J’aime le fantastique, la science-fiction. Des trucs assez obscurs comme Valerie and her Week of Wonders. Un film tchécoslovaque de 1970 avec une incroyable bande originale. Ou encore The Brothers Lionheart, un long métrage suédois des seventies. J’adore aussi l’animation japonaise. Ce que fait Studio Ghibli. Mais je ne sais pas si ça m’a influencé d’une quelconque manière.  »

Personne ne s’étonnera que son disque évoque l’innocence de l’enfance. « Ce que tu trouves quand tu cherches à t’évader. Je voulais capturer le sentiment que ces voyages procurent. Mais pas de manière trop heureuse ou joyeuse. Parce que les gosses ont aussi leur côté sombre. Toutes les chansons de Cabinet of Curiosities sont des expériences de ma vie transformées en étranges petits contes de fées. » Abracadabra.

Le 13/2 au Trix (Anvers) et le 21/2 chez Madame Moustache (Bruxelles).

Rencontre Julien Broquet

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