FIN AOÛT, DÉBUT SEPTEMBRE, OLIVIER ASSAYAS TOURNAIT, À PARIS, APRÈS MAI, L’ITINÉRAIRE DE GILLES, UN ÉTUDIANT CHERCHANT SA VOIE DANS LA FRANCE DU DÉBUT DES ANNÉES 70, APRÈS L’EFFERVESCENCE DE MAI 68. VISITE DE PLATEAU…

Paris, par une belle après-midi d’août. Ils sont là quelques poignées de jeunes gens à battre le pavé, dans la cour du Conservatoire National des Arts et Métiers. Coupes de cheveux millésimées, fringues vintage, et jusqu’aux voitures garées dans l’enceinte, il ne faudrait guère se forcer pour se croire projeté au début des années 70, lors de quelque rassemblement étudiant. Sentiment conforté encore lorsque l’on avise les slogans bombés sur les murs intérieurs qui, de  » Descends dans la rue » à  » La lutte continue » appellent à la mobilisation en des termes qui paraissent aujourd’hui quelque peu surannés. Retour à la réalité du moment, toutefois, lorsque à une question lancée à la cantonade, un figurant répondra: « C’est quoi un Solex? »

C’est ici, dans le 3e Arrondissement, à 2 pas du métro Réaumur Sébastopol, avant des haltes en Ardèche et en Italie notamment, que s’est posée la production de Après mai, le nouveau film d’Olivier Assayas. Si ses aînés, Bernardo Bertolucci dans The Dreamers et Philippe Garrel dans Les Amants réguliers, se sont repenchés, dans un passé plus ou moins récent, sur leur mai 68, le réalisateur d’ Irma Vep revient pour sa part dans ce film sur la période immédiatement postérieure, qui fut celle des choix de sa jeunesse. Nathanaël Karmitz, qui, avec MK2, produit pour la troisième fois le réalisateur, annonçait, en février à Berlin, « un portrait de cette jeunesse européenne en ébullition du début des années 70 », Assayas y ajoute donc une dimension autobiographique: Gilles, la figure centrale de l’histoire, lui doit certainement beaucoup, lui dont le désir artistique tente de s’épanouir dans un contexte d’engagement politique prononcé. « Un film, cela a toujours des racines relativement longues, observe Olivier Assayas, que l’on retrouve dans un hall du Conservatoire qui tiendra lieu, un peu plus tard, de cafétaria pour les besoins de la cause. Peut-être que le fait de tourner Carlos il y a 2 ans, a ravivé un souhait que j’avais depuis longtemps, et qui était de faire un film sur ma perspective singulière du début des années 70, puisque j’étais lycéen, étudiant, traversant à la fois le gauchisme et des années qui étaient un peu folles et assez passionnantes. Au début des années 90, j’avais fait un film, L’eau froide , qui évoquait cette période-là de façon poétique, abstraite. Ici, j’avais le sentiment qu’il fallait se confronterde façon plus littérale aux flux qui ont traversé cette époque. « 

Diptyque sur l’engagement

Adossé à Carlos, Après mai compose à sa façon un diptyque sur les années 70 où le cinéaste serait passé de l’histoire collective à une histoire plus intime, l’une et l’autre s’irriguant par ailleurs. Faut-il y voir aussi une volonté de questionner la notion d’engagement? « En tout cas, il questionne la politisation spécifique aux années 70, et ses chemins. Je suis très réticent à considérer que mes films embrassent de grands thèmes. Je suis beaucoup plus attaché aux petits thèmes et à leur capacité de déploiement universel. A ce stade-ci de la fabrication, ce que je peux dire, c’est qu’il s’agit d’un film fait avec la foi qu’une histoire singulière traversant cette époque-là peut interroger des questions collectives et en particulier celle de l’engagement, et sa réussite ou son échec, suivant la perspective d’où l’on se place.  »

Cette histoire singulière, elle est incarnée à l’écran par Clément Métayer, dont la première expérience de cinéma résulte d’un casting sauvage. Pour l’heure, les mises en place terminées, le jeune homme pénètre d’un pas décidé dans le bâtiment reconverti en hall de fac, une farde à dessins sous le bras. Le ballet des figurants est millimétré, Assayas visionne la scène dans le combo, échange quelques mots avec Eric Gautier, le chef opérateur avec qui il avait déjà travaillé pour L’heure d’étéet Les destinées sentimentales, notamment. Cette mise en bouche opérée en souplesse, on passe à la suite, le moment où Gilles va montrer aux membres du groupe de prog rock Fille qui mousse, installés dans la cafétaria, les collages qu’il a réalisés à leur attention. Look des musicos, alignement de canettes de bière que l’on croirait sorties d’un musée, et jusqu’aux cigarettes dont les filtres ont été coupés manuellement, histoire de coller au mieux à l’époque, l’illusion est parfaite, les affiches collées aux murs venant rajouter une touche d’authenticité à l’ensemble. Les répétitions vont bon train, avant que les prises se succèdent, en une chorégraphie soigneusement orchestrée, entre mouvement d’appareil et allées et venues des extras.

Génération post-68

A travers l’itinéraire de Gilles, et sa recherche d’une place dans son époque, au croisement des engagements artistique et politique, c’est aussi la génération post-68 qu’ausculte le réalisateur, celle qui, explique-t-il, « a fait ce qu’elle a pu avec la façon dont le monde avait été chamboulé par la déflagration ». Constat dressé sans en concevoir pour autant une quelconque frustration: « Je l’ai même vécu comme un monde incroyablement ouvert. On a 15 ans, on découvre ça, et on pense que le monde est comme cela. Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris combien j’ai vécu mon adolescence à une époque folle, qui ne ressemble à aucune autre; une époque qui fantasmait l’insurrection, mais qui était surtout celle d’une remise en question extraordinaire. «  Quant à en établir l’héritage, c’est là une autre histoire, complexe assurément.

Pour l’heure, l’équipe s’est redéployée dans un nouveau décor, en contrebas, à hauteur d’un large amphithéâtre. Dans la touffeur de ce dernier, Fille qui mousse a disposé son matériel pour une scène de concert. Le light show, tout en contorsions d’huiles colorées, baigne les lieux d’une humeur psychédélique entêtante. A l’extérieur, Clément Métayer évoque une époque, les années 70, et sa jeunesse, si lointaine et si proche: « Ce qui me surprend surtout, c’est que les hippies existent toujours. Ce qui me surprend, ce n’est pas un trait de la jeunesse de l’époque, mais bien que ce trait persiste aussi longtemps, parce que la mentalité reste, et risque de rester très longtemps, alors que le monde change.  » The Dreamers? Voire… A vérifier sur les écrans courant 2012.

TEXTE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À PARIS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content