AVEC TWIXT, FRANCIS FORD COPPOLA OPÈRE UN SINGULIER RETOUR AUX SOURCES, SIGNANT, AU DÉPART D’UN RÊVE, UN FILM À LA RÉSONANCE ON NE PEUT PLUS INTIME. RENCONTRE AVEC UN RÉALISATEUR EN VEINE DE CONFIDENCES.

C’est le genre de moment dont l’on devine d’entrée qu’il sera privilégié. Une manière d’être, déjà, « old school » sans doute, et qui veut qu’un Francis Ford Coppola tiré à quatre épingles -costume, cravate fleurie, chemise griffée FFC- vous accueille avec la plus exquise courtoisie. Attentionné, avec cela: le genre à vous proposer, obligeamment, de partager quelques quartiers de mandarine en cours de conversation. Mais aussi, empreint alors d’une gravité soudaine, à vous présenter ses condoléances, la rencontre se déroulant quelques jours à peine après le drame de Sierre. Voilà pour la forme, à quoi il ajoute d’avoir choisi de se livrer sans détour. « A mon âge (73 ans ce samedi, ndlr) , je n’en suis plus à essayer de vendre un film. J’ai d’ailleurs entrepris celui-ci sur des bases modestes (Coppola finance désormais ses productions avec le produit de ses vignes, ndlr), et il s’agissait surtout à mes yeux de pouvoir me réinventer, d’être à nouveau un jeune cinéaste qui fait des films sans moyens, et de voir ce que cela donnerait. »

Un rêve nimbé de raki

En l’occurrence, on peut parler de retour aux sources, pour un artiste qui renoue, dans Twixt, avec une inspiration gothique voisine de celle de ses débuts, lorsqu’il tournait Dementia 13 pour Roger Corman, le pape de la série B fauchée, et l’homme qui contribua, outre FFC, à lancer les Jonathan Demme et autre Martin Scorsese. Coppola a pour coutume de ramener ses films, une fois le script achevé, à un mot-clé. Pour Twixt, il a opté pour la perte, intime, et le poids de douleur et de culpabilité l’accompagnant. Le film fait écho, en effet, au drame personnel vécu par le réalisateur en 1986, lorsque son fils de 22 ans, Gian-Carlo, se tua dans un accident de hors-bord. Cette résonance intime, Coppola n’en a pris conscience que sur le tard, cependant. Explications.

L’inspiration du film, dit-il, lui est venue lors d’un rêve stambouliote, consécutif à une soirée généreusement arrosée en raki. « Je n’avais jamais fait un rêve aussi vif. A mon réveil, j’avais déjà toute une histoire, qui s’assemblait comme les parties d’un film, où je rencontrais une adolescente aux dents tordues et couverte de bagues, qui me taquinait en prétendant être un vampire. Effrayé, je me rendais dans un endroit étrange, où je voyais des enfants émerger d’une tombe, et où apparaissait bientôt Edgar Allan Poe. » Armé de ces éléments, Coppola étoffe bientôt le scénario, introduit le personnage de Hall Baltimore, l’écrivain en mal d’inspiration (Val Kilmer), et s’interroge sur l’identité de l’adolescente. Pour en faire un fantôme, reliant Poe et Baltimore, unis dans la perte d’un être cher, femme pour l’un, fille pour l’autre. « Ce film insouciant, amusant à faire, mettait en scène la disparition d’une jeune fille dont le père se sentait responsable. C’est là que j’ai compris ne plus pouvoir me cacher: un auteur parle de la vérité. Voilà pourquoi j’ai décidé que cette fille serait morte dans un accident, comme mon propre enfant. Cela aurait pu être un accident de voiture, de moto, ou de cheval, mais cela s’est avéré être un accident de bateau. Je n’étais pas là, j’aurais dû l’être. Un parent se sent toujours responsable. Et voilà comment a émergé ce film, un étrange mélange d’histoire d’horreur et d’£uvre personnelle. »

Appellation contrôlée

S’il ne s’était jamais, sans doute, dévoilé à ce point, la tentation est grande de voir dans un pan de la filmographie de Francis Ford Coppola une forme d’autobiographie. Et cela, qu’il s’agisse d’explorer les liens familiaux -filiation, comme dans The Godfather, ou fraternité, comme dans Rumble Fish ou Tetro- ou d’interroger son rapport à l’industrie du spectacle -impossible de ne pas voir dans le personnage central de Tucker une projection du réalisateur de The Conversation et autre Apocalypse Now. Et puisque l’on boit littéralement ses paroles, le voilà qui pratique avec un plaisir non dissimulé la métaphore £nologique: « C’est le terroir, comme nous l’appelons dans le business viticole. On trouve, dans les films que j’écris, des éléments moins autobiographiques que personnels qui les identifient comme étant miens. » Une appellation contrôlée, en somme.

Tant qu’à faire, le voilà qui s’aventure dans la foulée en terrain gastronomique, alors qu’on l’interroge sur ses attentes par rapport à Twixt: « Je sais qu’il est difficile à vendre, parce que je ne vois pas comment l’on pourrait dire au public de quel genre de film il s’agit. Quand un réalisateur fait un film, c’est un peu comme si je vous recevais à dîner. J’espère que vous apprécierez le repas, je ne vais pas préparer un plat que vous n’aimerez pas. Et si je vous vois partir déçu, je serai attristé. C’est la même chose avec un film, quand le public n’apprécie pas, et n’en retire rien. En même temps, même si je sais qu’un hamburger ferait votre bonheur, je peux aussi vouloir vous faire découvrir un mets que vous ne connaissez pas. Je prends un risque, parce qu’il se peut que vous n’ayez aucune envie de manger de la cervelle d’agneau. Si vous aimez vos invités, vous voulez leur faire plaisir, mais aussi leur faire découvrir quelque chose d’inconnu qu’ils apprécieront peut-être vraiment. »

Une forme de souveraine attention, conjuguée à une liberté conquise de haute lutte. Le parcours de Coppola épouse les contours de montagnes russes, en effet, avec les sommets des années 70, suivis des flops des années 80 ( One from the Heart, Cotton Club) qui allaient précipiter sa banqueroute. S’étant remis à flot le temps de quelques films impersonnels dans la décennie suivante, Coppola ressurgit en 2007 avec Youth Without Youth, que suivront Tetro et, aujourd’hui, Twixt. De ces seventies où il contribua, avec quelques autres, à réinventer le cinéma américain, il vous dit qu’il en a « un souvenir merveilleux » avant de tempérer l’appréciation: « Souvent, on m’accoste pour me demander si je tourne encore. Quand je réponds que je fais un film par an, on me demande pourquoi ils ne sont pas aussi bons que ceux que je faisais alors. Mais pas plus Apocalypse Now que The Conversation n’ont été largement appréciés au moment-même. On les envisage différemment aujourd’hui: un bon test, c’est de voir si les gens continuent à aller voir un film 40 ans après sa sortie. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’à l’époque, personne ne voulait financer Apocalypse Now, pas même après le succès de The Godfather. Je me sentais déprimé, rejeté. » Et puisqu’il va le soir même assister avec son épouse Eleanor à une représentation de Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, il évoque encore combien ce dernier fut victime d’une même incompréhension en son temps.

Capturer son époque

L’avenir, il l’aborde débordant d’énergie – « J’ai l’impression que ces trois petits films autofinancés bouclent une phase », observe-t-il, avant d’expliquer vouloir s’atteler à un projet plus ample, qui embrasse sa perspective sur son temps. « Je me souviens, au moment où j’ai découvert La Dolce Vita , m’être dit combien Fellini avait réussi à capturer cette époque: la célébrité se substituant au Christ, à Rome, les paparazzi, Anita Ekberg, dans cette ville symbole de la chrétienté… » Le moment venu de prendre congé, et tant qu’à filer la métaphore gastronomique, on l’invite à comparer les deux activités qui l’occupent pour l’essentiel, la production de vin et la réalisation de films. « Rien de plus simple, sourit-il. Elles sont toutes deux structurées en trois phases: la première est la collecte des sources. Pour le vin, on fait pousser et on récolte des fruits, sans avoir toujours la chance de son côté. On peut être confronté au gel, au froid, et on fait de son mieux pour obtenir la meilleure qualité possible de raisin. Dans un film, on recueille des moments, des morceaux, des prises, et ce n’est pas toujours bon non plus: il peut y avoir de bons, et de mauvais jours. La seconde phase consiste à produire du vin, au départ de ces raisins, et cela passe par la fermentation et des processus divers, de même que pour un film, on fait le montage des différentes prises. Vient enfin la dernière touche, essentielle: à savoir, au cinéma, la coloration finale, la musique, les effets sonores, et toutes ces finitions après lesquelles le film sera prêt pour le public. Et dans le vin, le vieillissement, le mélange et la mise en bouteille. C’est très voisin. »

Quant à savoir ce à quoi il prend le plus de plaisir? « Je suis un cinéaste, du fond du c£ur. J’aime ma famille, boire du vin, je me considère comme extrêmement privilégié de pouvoir produire du vin, et d’en vivre. Mais dans mon c£ur, si j’étais sans le sou, et ne devais me consacrer qu’à une chose, je voudrais toujours prendre des images fixes et un enregistreur à cassettes et trouver un moyen pour faire du cinéma avec ce que j’aurais à disposition… » l

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À PARIS

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